Joris-Karl Huysmans (1848-1907)
"Plus de deux mois sâĂ©coulĂšrent avant que des Esseintes pĂ»t sâimmerger dans le silencieux repos de sa maison de Fontenay ; des achats de toute sorte lâobligeaient Ă dĂ©ambuler encore dans Paris, Ă battre la ville dâun bout Ă lâautre.
Et pourtant Ă quelles perquisitions nâavait-il pas eu recours, Ă quelles mĂ©ditations ne sâĂ©tait-il point livrĂ©, avant que de confier son logement aux tapissiers !
Il Ă©tait depuis longtemps expert aux sincĂ©ritĂ©s et aux faux-fuyants des tons. Jadis, alors quâil recevait chez lui des femmes, il avait composĂ© un boudoir oĂč, au milieu des petits meubles sculptĂ©s dans le pĂąle camphrier du Japon, sous une espĂšce de tente en satin rose des Indes, les chairs se coloraient doucement aux lumiĂšres apprĂȘtĂ©es que blutait lâĂ©toffe.
Cette piĂšce oĂč des glaces se faisaient Ă©cho et se renvoyaient Ă perte de vue, dans les murs, des enfilades de boudoirs roses, avait Ă©tĂ© cĂ©lĂšbre parmi les filles qui se complaisaient Ă tremper leur nuditĂ© dans ce bain dâincarnat tiĂšde quâaromatisait lâodeur de menthe dĂ©gagĂ©e par le bois des meubles."
Portrait d'un décadent du XIXe siÚcle.