"Que nous importe aujourdâhui les chevaliers errants et la chevalerie ! Si le roman de CervantĂšs nâĂ©tait que lâhistoire dâun chevalier, si lâauteur nâavait eu en tĂȘte que de tourner en dĂ©rision les coutumes de la chevalerie mĂ©diĂ©vale et la mode littĂ©raire des romans de chevalerie, son livre nâaurait pas gardĂ©, Ă travers quatre siĂšcles, tant de vivacitĂ© et dâallĂ©gresse et don Quichotte ne serait pas le personnage le plus populaire de la littĂ©rature occidentale. Don Quichotte, aujourdâhui, est devenu un mythe, un mythe dotĂ© dâune silhouette reconnaissable entre toutes, Ă la fois pitoyable, ridicule, et pleine de grandeur.
Cependant, si, depuis plus de quatre cents ans, on rit de don Quichotte ou on sâĂ©tonne de sa sagesse, si on sâesclaffe des ruses ou des naĂŻvetĂ©s de Sancho, câest avant tout parce que CervantĂšs a su trouver un style vif, aisĂ© pour prĂ©senter ses personnages autant que pour les faire parler. Rappelons ce paradoxe : une grande partie des lecteurs du Don Quichotte, Ă lâĂ©poque oĂč le livre est Ă©crit, sont analphabĂštes. Mais on le lit Ă voix haute un peu partout.
Ce roman sây prĂȘte. De plus, il est fait Ă 90% de dialogues. Câest dire si le langage parlĂ© est omniprĂ©sent. Toutes les classes sociales sont reprĂ©sentĂ©es et cette variĂ©tĂ© de langage donne au livre sa dimension dâoralitĂ© vivante. Si Don Quichotte est un succĂšs, câest bien parce que CervantĂšs a su rompre avec la prose littĂ©raire de son temps et inaugurer une Ă©criture orale qui annonce, dans sa vitalitĂ© et son audace langagiĂšre, le roman moderne."
Aline Schulman, auteure de la nouvelle traduction de Don Quichotte, Editions du Seuil.