Alors que le monde industrialisĂ© pensait en avoir fini avec la question des subsistances, la Seconde Guerre mondiale replace lâagriculture et lâalimentation au cĆur des enjeux de la reconstruction. LâEurope de lâOuest, ravagĂ©e et affaiblie, se tourne alors vers les Ătats-Unis pour penser une modernisation capable de fonder une nouvelle expansion. En France, lâaprĂšs-guerre est ainsi le thĂ©Ăątre dâune profonde transformation du monde rural sous lâeffet de la diffusion volontariste du « progrĂšs », instrument dâune mise Ă niveau de la productivitĂ© agricole au service de la restauration de la position française dans le monde. Dans ce contexte, la crĂ©ation en 1946 de lâInra constitue un moment crucial de la rencontre entre science et politique, dans la quĂȘte dâune voie de dĂ©veloppement qui mobilise les outils des sciences du vivant pour en rationaliser lâexploitation.
Dâabord conçu comme un institut de recherche et dâexpĂ©rimentation dĂ©volu Ă la seule agriculture, lâInra Ă©largit peu Ă peu ses missions, dĂ©ployant des compĂ©tences nouvelles sur les industries agroalimentaires, la nutrition, la biologie molĂ©culaire ou encore lâenvironnement.
Serviteur zĂ©lĂ© des politiques publiques de modernisation, lâinstitut sâaffirme dans le concert des grands opĂ©rateurs de recherche, aux cĂŽtĂ©s du CNRS, de lâInserm et de lâInstitut Pasteur. Mais confrontĂ© Ă lâessor de la recherche privĂ©e, Ă lâeffacement du volontarisme dâĂtat et Ă la montĂ©e de la contestation des sciences et des techniques, il se trouve prĂ©cocement contraint, dans les annĂ©es 1980 et surtout 1990, Ă repenser en profondeur son identitĂ© et son rĂŽle, dans la prise de conscience croissante de lâinterconnexion des questions agricoles, alimentaires et environnementales.
Au cĆur des enjeux de lâĂ©conomie de la connaissance du monde contemporain, la trajectoire historique de lâInra reprĂ©sente une vĂ©ritable Ă©nigme, observatoire privilĂ©giĂ© de la genĂšse dâune gouvernance globale du vivant et de la sĂ©curitĂ© alimentaire. FondĂ© sur une documentation originale et sur un recours Ă la mĂ©moire des acteurs, le prĂ©sent ouvrage constitue la premiĂšre synthĂšse historique sur cet organisme de recherche.