Anatole Le Braz (1859-1926)
"Il est, aux alentours des vieilles villes bretonnes, des vestiges, des tronçons d’anciennes routes que l’herbe a depuis longtemps envahies, que les pluies ont défoncées par places, mais qui gardent, jusque dans leur détresse, un je ne sais quoi de noble et de majestueux. Une solitude profonde est sur elles. Le promeneur ne s’y hasarde guère. Elles n’ont à lui exhiber que le spectacle de leur abandon, les ronces pendantes qui s’enchevêtrent au-dessus de leurs douves et les houx au feuillage funèbre qui hérissent leurs talus.
Beaucoup, à l’origine, furent des voies romaines. Elles ont vu les robes blanches des derniers druides s’enfuir et disparaître au plus épais de leurs forêts profanées. Les dalles qui, de-ci, de-là, les jonchent encore, retentirent sous le pas des légionnaires de César. Puis, aux bruits de la conquête et de la colonisation succéda le silence des ruines. Il n’y eut plus à rôder, parmi les pierres descellées, que le pâtre barbare dont parle l’auteur des Martyrs : « Tandis que ses porcs affamés achevaient de renverser l’ouvrage des maîtres du monde, lui, tranquillement assis sur les débris d’une porte décumane, pressait sous son bras une outre gonflée de vent... » Aujourd’hui, les porchers eux-mêmes ont déserté ces routes. Ils répugneraient à y aventurer leurs troupeaux. Ce sont, disent-ils, des parages frappés d’interdiction pour les vivants : il ne sied pas d’en troubler le mystère.
De fait, l’on y peut marcher des heures sans rencontrer personne."
Anatole Le Braz nous raconte la Bretagne, pays par pays, un pèlerinage fait d'anecdotes, d'impressions et d'histoires : Anatole Le Braz effectue son "tro Breiz"... son "tour de Bretagne"...