aul Arène (1843-1896)
"Il faut moins que rien, en vérité ! pour changer parfois au réveil les dispositions intimes de l’heureux possesseur d’un Moi tant soit peu subtil et précieux. Hier matin, en consultant mon Moi – ce qui est pour l’Intellectuel une analogue obligation à celle qui fait au bourgeois chaque jour consulter son baromètre – hier je venais de m’apercevoir que le susdit Moi, enclin plus que jamais aux désespérances, se trouvait attristé profondément par la particulière hideur des crimes désormais bas et sans beauté dont s’ensanglante le Paris moderne...
Bref ! pour parler le clair langage de Voltaire et des bonnes gens, encore sous l’impression d’un horrible drame, assassinat de fille galante ou de vieille rentière, que tous les journaux, depuis une semaine, commentent avec leur ordinaire complaisance, j’étais en train de broyer du noir, quand un fait-divers, oui ! un simple fait-divers de l’Argus Canteperdicien est venu chasser les brouillards et me remettre du soleil dans l’âme.
Vous saurez que ce titre pompeux désigne l’unique et modeste gazette d’un pays qui m’est resté cher, les gens de Canteperdrix, avec un léger pédantisme à la seizième siècle, aimant se faire appeler Cantaperdiciens comme les gens de Pamiers, Apaméens, et ceux de Bayeux, Bajocasses."
Recueil de 32 contes à l'accent provençal.