Emmanuel Bove (1898-1945)
"Depuis qu’il était à Lyon, Bridet cherchait un moyen de passer en Angleterre. Ce n’était pas facile. Il employait ses journées à courir partout où il eût eu une chance de rencontrer des amis qu’il n’avait pas encore revus. Il fréquentait la brasserie proche du grand théâtre où se réunissaient les journalistes dits repliés, il se promenait rue de la République, tâchant de découvrir aux terrasses des cafés des figures de connaissance, il retournait plusieurs fois par jour à son hôtel avec l’espoir d’y trouver une lettre, un rendez-vous, un signe enfin de l’extérieur.
Mais dans cette cohue qui avait envahi la ville, au milieu des difficultés que chacun éprouvait, parmi tous ces gens qui, à Paris, s’ils se connaissaient, ne se fréquentaient pas, il n’y avait pas de place pour le moindre sentiment de solidarité. On se serrait la main, on s’efforçait d’avoir l’air aussi content à la dixième rencontre qu’à la première, on sympathisait dans l’immense catastrophe, feignant de croire que le malheur unit plutôt qu’il ne divise, mais dès que, cessant de parler de la misère générale, on essayait d’intéresser quelqu’un à son petit cas particulier, on se trouvait en face d’un mur.
Le soir, Bridet rentrait exténué. Pour conserver sa chambre, il devait simuler chaque semaine un départ, les hôtels étant réservés aux voyageurs de passage. « C’est tout de même grotesque, pensait-il, de n’avoir pas encore trouvé, au bout de trois mois, le moyen de filer. Cela devient même dangereux. » Tout le monde finissait par se douter qu’il voulait partir."
1940 : Joseph Bridet, journaliste parisien réfugié à Lyon, choisit de rejoindre de Gaulle en Angleterre. Mais comment s'y prendre ? Il décide de demander un sauf-conduit pour le Maroc, à son vieil ami Basson qui est attaché à la Direction Générale de la Police Nationale, à Vichy. Il lui fait croire qu'il est un fervent pétainiste...