« Jâai commencĂ© la vie par une passion.
Aussi extraordinaire que cela puisse paraĂźtre, câest cependant tout Ă fait certain, et cette passion, qui eut, comme toujours, ses joies et ses peines, aboutit Ă un chagrin dont la violence nâa jamais Ă©tĂ©, pour moi, Ă©galĂ©e.
On mâa racontĂ© que jâavais montrĂ© beaucoup de rĂ©pugnance Ă venir au monde : la figure voilĂ©e de mon bras repliĂ©, je me refusais obstinĂ©ment Ă faire mon entrĂ©e dans cette vie, et, y ayant Ă©tĂ© contrainte, je manifestai mon dĂ©plaisir par un vĂ©ritable accĂšs de fureur : jâavais saisi, en criant, les doigts du mĂ©decin et je mây cramponnais de telle façon, quâincapable dâagir, il fut obligĂ© de les secouer vivement et sâĂ©cria, trĂšs stupĂ©fait :
â Mais quâest-ce que câest quâun pareil petit monstre ?...
Mon agresseur Ă©tait le docteur Aussandon, un hĂ©ros et un titan, qui arrĂȘtait les chevaux emportĂ©s et se plaisait Ă aller se mesurer, dans les cirques, avec les hercules cĂ©lĂšbres. Mais jâignorais ces hauts faits, et, nullement intimidĂ©e, jâavais acceptĂ© le combat.
Je me suis fait souvent raconter par ma mĂšre cet incident qui me semblait prophĂ©tique, et exprimait si bien lâopinion que je devais avoir, plus tard, de lâexistence. »
Judith Gautier Ă©tait la fille de l'Ă©crivain ThĂ©ophile Gautier et de la cantatrice Ernesta Grisi. Ăcrivain, critique et fĂ©rue d'occultisme, elle fut la muse de nombre de ses talentueux contemporains, dont Richard Wagner, Victor Hugo, Gustave Flaubert, Jean Lorrain et Catulle MendĂšs, qu'elle Ă©pousa. Elle fut la premiĂšre femme Ă©lue Ă l'AcadĂ©mie Goncourt, en 1910.