Ce livre traite de l'histoire du peuple juif au temps de la formation du talmud, puis du Judaïsme depuis la captivité de Babylone.
La ruine de la nation juive écrasée par les armes victorieuses de Vespasien et de Titus, la destruction même du temple de Jérusalem, en supprimant les conditions d’existence de la théocratie israélite, ne firent pas disparaître le judaïsme comme religion, mais en changèrent profondément la nature. Le judaïsme depuis lors fut une société religieuse, une église, et non plus un état. Des croyances et des observances spéciales plutôt que des institutions publiques lui servirent dès lors de remparts, et lui procurèrent les moyens de se perpétuer jusqu’à nos jours à travers d’innombrables vicissitudes et les plus terribles persécutions. À la place du temple et du sacerdoce lévitique, une tradition lentement déposée dans un livre, le Talmud, lui tint lieu de centre visible, et, pour se faire une idée juste de la religion juive pendant tout le moyen âge et les temps modernes, c’est bien moins l’Ancien Testament et l’histoire du judaïsme antérieur au christianisme qu’il faut étudier de près que cette évolution intérieure, déterminée, par la force irrésistible des événements, qui substitua définitivement le rabbin au prêtre et l’étude de la loi à la célébration des sacrifices.
Ce changement, qui nous paraît si impérieusement commandé, ne s’opéra toutefois qu’avec une extrême lenteur. Il avait été préparé pendant toute la période qui va de l’insurrection nationale contre les Syriens à la prise du temple par Titus. Si l’on veut bien se reporter à l’esquisse que nous avons tracée de cette période si essentielle à connaître pour se faire une idée claire des origines du christianisme, on se rappellera que, bien avant la cessation forcée du culte sacerdotal, le scribe, le docteur, le copiste-commentateur de la loi l’emporte déjà en popularité et en autorité réelle sur le lévite et le sacrificateur. Et pourtant, lorsque la destruction du temple eut fait rentrer le sacerdoce dans la catégorie des hautes inutilités, il fallut du temps pour que la conscience religieuse de l’Israélite s’habituât à s’en passer tout à fait. Pendant bien des années, elle vécut soit dans le passé, soit dans un avenir idéal de restauration, ne voulant voir dans le présent qu’une épreuve douloureuse, mais passagère. L’idée théocratique ne recula que pas à pas devant la prépondérance des réalités, et même elle fut encore assez puissante pour susciter en Palestine des mouvements insurrectionnels intermittents, dont la série se prolonge jusqu’au commencement de notre moyen âge, mais qui vont toutefois en diminuant toujours d’importance et d’intérêt.
C’est l’histoire de ces temps qui virent s’accomplir la transformation irrévocable du vieux judaïsme sacerdotal en religion simplement dogmatique et rituelle que nous désirerions retracer. Cette époque si peu connue va de la destruction du temple par Titus, l’an 70 de notre ère, à la clôture définitive du Talmud, vers l’an 500. Pour cette période dite talmudique, les connaissances spéciales et surtout l’érudition rabbinique des estimables auteurs juifs que nous avons cités cette fois encore sont d’un secours que nous ne saurions trop apprécier.