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Aline

E-book


Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947)

"Julien Damon rentrait de faucher. Il faisait une grande chaleur. Le ciel Ă©tait comme de la tĂŽle peinte, l’air ne bougeait pas. On voyait, l’un Ă  cĂŽtĂ© de l’autre, les carrĂ©s blanchissants de l’avoine et les carrĂ©s blonds du froment ; plus loin, les vergers entouraient le village avec ses toits rouges et ses toits bruns ; et puis des bourdons passaient.

Il Ă©tait midi. C’est l’heure oĂč les petites grenouilles souffrent au creux des mottes, Ă  cause du soleil qui a bu la rosĂ©e, et leur gorge lisse saute vite. Il y a sur les talus une odeur de corne brĂ»lĂ©e.

Lorsque Julien passait prĂšs des buissons, les moineaux s’envolaient de dedans tous ensemble, comme une pierre qui Ă©clate. Il allait tranquillement, ayant chaud, et aussi parce que son humeur Ă©tait de ne pas se presser. Il fumait un bout de cigare et laissait sa tĂȘte pendre entre ses Ă©paules carrĂ©es. Parfois, il s’arrĂȘtait sous un arbre ; alors l’ombre entrait par sa chemise ouverte ; puis, relevant son chapeau, il s’essuyait le front avec son bras ; et, quand il ressortait au soleil, sa faux brillait tout Ă  coup comme une flamme. Il reprenait son pas Ă©gal. Il ne regardait pas autour de lui, connaissant toute chose et jusqu’aux pierres du chemin dans cette campagne oĂč rien ne change, sinon les saisons qui s’y marquent par les foins qui mĂ»rissent ou les feuilles qui tombent. Et il songeait seulement que le dĂźner devait ĂȘtre prĂȘt et qu’il avait faim.

Mais, comme il arrivait Ă  la route, il s’arrĂȘta tout Ă  coup, mettant la main sur ses yeux. C’était une femme qui venait. Elle semblait avoir une robe en poussiĂšre rose. Il se dit : « Est-ce que ça serait Aline ?... » Et, lorsqu’elle fut plus prĂšs, il vit que c’était bien elle. Alors il sentit un petit coup au cƓur. Elle marchait vite, ils se furent bientĂŽt rejoints."

Aline, de condition modeste, est amoureux de Julien, fils d'un riche paysan. Pour elle, c'est la passion mais Julien est-il vraiment amoureux ?

1er roman de Charles-Ferdinand Ramuz.

Court roman.