Tristan Bernard (1866-1947)
"La chambre oĂč jâĂ©cris est au troisiĂšme Ă©tage dâun hĂŽtel du Havre. Elle donne sur un des bassins. Mais Ă quoi bon dĂ©crire ce que je vois ? Ce nâest pas pour cela que jâai pris la plume. JâĂ©cris pour moi tout seul. JâĂ©cris parce que je nâai personne Ă qui parler. Et comme je ne veux pas que ces pages traĂźnent, je les enverrai sous des initiales dans un bureau de poste de Paris, toujours le mĂȘme pour ne pas me tromper.
Je me regarde dans la glace, je ne suis ni beau ni laid, ni grand ni petit. Jâai trente-quatre ans. Il y a des personnes qui me donneront moins, dâautres plus. Mais quand je dirai mon Ăąge, elles nâinsisteront pas, car cette Ă©valuation ne leur tient pas Ă cĆur. Mon nez paraĂźt un peu pointu depuis que je ne porte plus que la moustache. Jâai des cheveux chĂątain clair pas trĂšs dociles. Quand je me coiffe avec une raie, ça ne tient pas.
Jâai un peu dâinstruction, jâai passĂ© mon bachot. Au lycĂ©e, je nâai pas fait sensation. Il y avait des professeurs qui me jugeaient intĂ©ressant, mais la plupart ne faisaient pas attention Ă moi.
Je me suis mariĂ© de bonne heure, Ă vingt-quatre ans, et jâai divorcĂ© il y a trois ans. Ma femme me trompait.
Câest moi qui ai pris les torts Ă mon compte. Ce nâĂ©tait pas une mauvaise crĂ©ature. Elle rĂ©flĂ©chissait peu, voilĂ tout.
Elle Ă©coutait facilement les gens quand ils lui plaisaient. Moi, elle ne mâa pas Ă©coutĂ© longtemps.
Elle vit avec son amant, qui nâest pas non plus un mauvais type. Je sais quâils ne sont pas trĂšs heureux au point de vue matĂ©riel. JusquâĂ prĂ©sent, je lui ai servi rĂ©guliĂšrement sa pension. Maintenant, ça commence Ă ĂȘtre dur.
Jâai eu beaucoup dâennuis dâargent..."
Paul Duméry, un ancien assureur, assassine l'un de ses créanciers et le vole. Il doit fuir car la police va trÚs vite le soupçonner. Pendant sa cavale, il rédige son journal...
Roman à découvrir ou redécouvrir.