Dans une vieille ferme
improductive
de Haute-SaĂŽne en Franche-ComtĂ©, dans une rĂ©gion de montagnes rocailleuses et escarpĂ©es de lâest de la France,
Lucas, surnommé
le débile
par ses frĂšres,
vit, en compagnie de son vieux pĂšre acariĂątre et impotent et de deux jeunes filles (dont une aveugle). Ces gens sont sociologiquement
invisibles
. Leur mode dâexistence en vase clos est largement vivrier. Lucas garde et nourrit quelques cochons, auxquels il donne encore des noms personnalisĂ©s selon une pratique ancienne dâĂ©levage artisanal. Tout le monde ici a sa carabine de chasse et le fait dâabattre du gros gibier, pour fins de consommation personnelle, est une pratique
courante
. Personne ne monte en ces lieux. Câest trop loin, trop escarpĂ©, trop oubliĂ©. Les corps constituĂ©s (gendarmerie et autres) ne se manifestent jamais. Par contre, par ici comme partout au monde, on sait parfaitement ce que câest quâun
e caméra et on ignore rien de la mise en
ligne anonyme de vidĂ©os sur internet. Et lâon en joue...
Les deux fils aĂźnĂ©s de cette petite cellule familiale amputĂ©e (amputĂ©e notamment de la mĂšre, morte en couches des annĂ©es auparavant), NoĂ«l et Thibault, sont militaires de leur Ă©tat et ils ne se prĂ©sentent Ă la maison de ferme quâĂ©pisodiquement. Lucas, notre narrateur, est Ă la fois fascinĂ© et terrifiĂ© par ces deux vigoureux compĂšres. Ce sont pour lui des tyrans, des titans, des idoles, des hydres et il voit Ă scrupuleusement ne pas leur dĂ©sobĂ©ir car ils ont la torgnole facile et ils sont beaucoup plus intelligents que Lucas. La pĂ©riode de permission des deux militaires provoque habituellement une grande joie chez leur vieux pĂšre et un intense malaise dans le reste de la petite basse-cour. Câest que les deux bidasses du cru ramĂšnent de temps en temps avec eux un invitĂ©... habituellement un Ă©tranger sans attaches sĂ©journant en France... toujours de sexe masculin.
Et cet étranger, ils se mettent... disons, pour faire sobre... à lui enseigner comment chanter adéquatement
La Marseillaise
, aux fins justement dâun ensemble de petites vidĂ©os trĂšs spĂ©ciales quâon entend placer sur internet... anonymement naturellement (les vidĂ©astes portent mĂȘme des masques). Il sâagit, en fait, dâagir rondement, de ne pas trop en dire et de ne surtout pas se nommer, attendu quâon entre assez rapidement dans une dynamique procĂ©dant imperturbablement, justement, de lâinnommable.
On commence maintenant Ă graduellement voir apparaĂźtre ce quâon pourrait appeler un
roman de Loana Hoarau
. Dans la ligné terrible
et
glaçante de ses Ćuvres antĂ©rieures (MathĂ©matiques du chaos,
Buczko,
Soleil Ă Vazec), notre maĂźtresse maison de lâhorreur assumĂ©, du cruel fin, et du gore explicite ne se laisse pas prier â derechef â pour nous faire entrer, en douceur mais sans concession, dans les replis rouges comme du sang et incolore comme des larmes de son antre romanesque.
Accrochez-vous bien : Loana Hoarau est de retour...