Virginia Woolf (1882-1941)
"« Dans ces conditions, bien entendu, écrivait Betty Flanders, enfouissant de plus en plus ses talons dans le sable, il n’y avait pas autre chose à faire que de partir. »
Lentement amassée à la pointe de sa plume, une pâle encre bleue noya le point final, où le stylo s’était immobilisé. Betty regardait sans rien voir : des larmes montèrent à ses yeux. Toute la baie devint tremblante, le phare se mit à osciller ; et elle crut voir le grand mât du petit yacht de Mr Connor ployer comme un cierge de cire exposé au grand soleil. Elle cligna vivement des yeux. Il arrive parfois des accidents terribles ! Elle battit encore des paupières. Le mât se redressa, la houle redevint régulière, le phare rigide ; mais la tache s’était étalée sur la feuille.
« Pas autre chose à faire que de partir », relut-elle.
« Écoute, dit-elle à Archer, l’aîné de ses fils, dont l’ombre se projetait sur son papier à lettres et s’allongeait toute bleue sur le sable (Betty Flanders eut un petit frisson – dire qu’on était déjà au trois septembre !) écoute ; du moment que Jacob ne veut pas jouer... L’affreuse tache ! Il doit commencer à se faire tard.
« Où est-il, cet odieux gamin ? reprit-elle. Je ne le vois pas. Cours le chercher. Dis-lui de venir tout de suite... Mais grâce à Dieu, continuât-elle à griffonner, sans plus s’occuper de la tache, tout semble s’être arrangé pour le mieux, bien que nous soyons entassés comme des harengs en caque et qu’il faille tolérer dans l’appartement la voiture d’enfant ; car, bien entendu, la propriétaire... »
Tel était le genre de lettres que Betty Flanders écrivait au capitaine Barfoot – pages nombreuses, maculées de larmes..."
Virginia Woolf trace le portrait de Jacob à travers des personnes qui l'ont connu, avant la guerre, telles que sa mère, ses amours, ses condisciples de Cambridge...