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J’ai vécu la majeure partie de mon enfance dans la municipalité de Grande-Île, près de Valleyfield, la Venise du Québec, au 167 boulevard Bord de l’Eau de 1947 à 1960. Derrière la maison paternelle, la remise dans laquelle mon père élève une vache surplombe le fleuve. Une descente nous conduit vers la rive jusqu’à la chaîne de roches. Au coin droit de la propriété se trouve un petit bâtiment à deux étages. En haut, le poulailler ayant une dizaine de poules comme locataires et, en bas, trois ou quatre cochons qui grognent dans cette désescalade.
De la fenêtre arrière de la maison, un féerique panorama s’offre à nous. Le fleuve, avec ses méandres, ses plis et replis dans le sillon de la flore et de la faune, m’envoûte et m’émerveille. L’été je me baigne dans ce merveilleux fleuve pur. C’est notre piscine. J’apprivoise l’inspiration par de bonnes bouffées d’air pur. Je pêche l’achigan, le brochet, la perchaude, le crapet, l’anguille... C’est le début de l’aventure de ma vie. J’aime voir les poissons vivants et frétillants. Lorsque j’entre par le côté de la maison, il y a toujours ce gros ressort métallique en spirale qui referme la porte du moustiquaire brusquement. C’est la coutume dans les familles pour s’assurer que les enfants ferment bien leurs portes car il y a beaucoup de mouches à la campagne.
En face de chez nous, dans ce merveilleux pays de Grande-Île, les immortelles granges de ti-Bout Grenier et de Gaston Hainaut résistent toujours aux pires intempéries avec leurs toits de tôle scintillante. C’est bien différent du 91, rue Saint-Louis, notre ancienne demeure au centre-ville de Valleyfield.
Il n’y a pas de pont pour se rendre de l’autre côté du fleuve. Cependant, un traversier pas très loin, près de la petite école de campagne que j’ai fréquentée pendant six ans, nous y conduit. Dans la grande noirceur des longs hivers, des patinoires naturelles qu’il faut souvent déblayer se forment au grand vent. Nous sommes une famille de surnoms : ti-Yves, ti-Né, ti-Sel… Plus tard, tous les surnoms ont disparu. On se lève l’hiver avec des –20 et des –30 degrés. On grelotte dans les escaliers. Une fois les fournaises alimentées, on fait des rôties sur les parois.
À l’école, l’appréhension me broie les entrailles. Je suis déterminé à obtenir les meilleures notes. Les tempes palpitantes, les mains moites et glacées imprimant mes empreintes sur les pages de mon livre, je lis, j’étudie, je me concentre, j’apprends par cœur. Puis, lorsque ma mère est disponible, je lui récite à voix basse ma leçon. Mes livres bougent. Parfois j’hésite, je me reprends. Ma maîtresse d’école, bien que sévère pour les autres, me prend comme exemple de perfection. Lorsqu’arrive la fin de l’année, je suis content d’entamer d’autres expériences.
Enfin les vacances! C’est l‘été 1951. Dix heures du matin, le dimanche 24 juin. Le soleil apparaît resplendissant. Les cloches de la petite chapelle du Camp Bosco carillonnent. Les bâtisses du camp sont pavoisées du fleurdelisés flottant fièrement au sommet de leur hampe. C’est la grande fête de la Saint-Jean. De plus, cette année, cette fête des Canadiens français survient un dimanche. Nous célébrons tous par une messe en plein air au camp où la solidarité de toute Grande-Île est au rendez-vous accompagnée d’une brise de vallée fraîche.
Puis, c’est la frénésie du retour, l’excitation, une extraordinaire passion. Je reviens en solitaire, soit à pied ou en bicycle. Jeune, c’était un bicycle et non un vélo. C’est le dîner du dimanche. Je retrouve l’amour des miens, sur la table du bon pain. Je repêche mes parents, la conscience tranquille, la satisfaction d’un travail de semaine bien accompli. C’est le bonheur, l’abondance, la santé… les bonnes vibrations.
L’après-midi, on va à la parade de la Saint-Jean. J’admire les chars allégoriques. Chaque association se pavane avec sa fanfare : le club Champlain, les Zouaves, le club Rotary (le club nautique), les Raquetteurs, le club Richelieu, l’O.T.J., la J.O.C… Je me souviens d’un opulent bonhomme qui frappait la grosse caisse, le gros tambour, comme on l’appelait. Il avait de grosses jambes courtes et il se devait de faire de grandes enjambées pour garder le pas avec les autres. Le soir, c’est le traditionnel feu d’artifice au parc Sauvé. C’est l’événement le plus important à Valleyfield avec naturellement les régates, au début de juillet.
Les jours que je ne travaille pas chez les jardiniers Dupuis ou Cardinal, je traverse souvent le bras du fleuve, je saute sur les écueils pour me rendre à l’île du camp Bosco. Je ressens cette douce brise typique à l’insularité, caractère endémique de la flore et de la faune. Là, c’est la forêt. Pour moi, c’est la brousse. Je découvre les merveilles et la beauté de la création luxuriante. Jeune broussard, j’écoute. La forêt résonne de mille bruits. Tous les insectes de la création se réunissent et entament leur tapageur bavardage. Les oiseaux jettent des cris stridents. J’aime me promener dans ce maquis où je m’imagine des lianes et des animaux sauvages exotiques. Parmi les fougères et les bruyères, je hume la brise parfumée des fleurs sauvages.
Je me rends de l’autre côté de l’île où les ruisseaux et les chutes cascadent entre les pierres formant des bassins de galets. Les poissons frappent l’eau de leurs sauts. Je me rends jusqu’à la clairière embaumée par les fleurs sauvages. Là, les eaux cristallines déferlent de quelques grands rochers mouchetés de mousse. Je pense voir grand, élargir mes horizons, dépasser la routine, voyager… Acquérir des connaissances était pour moi un moyen, une façon de me faire valoir. Souvent assis sur l’herbe, m’adossant à une grosse pierre lisse, je contemple le paysage familier. Quelques nuages surplombent un genre de lagon moiré. Je m’imagine voir quelques îlots comme des barques chargées d’émeraude en file au large des côtes. J’ai neuf ans. Le fleuve est une mer exotique. Je m’invente des histoires dans ce pays enchanté.
Le vent caressant ma chevelure et mon visage, rassasié d’air et de beauté, je descends la côte vers le retour. Gambadant sur des pierres polies, je traverse le bras du fleuve, devenu plus tard un affluent rivulaire.
Ma mère était en compétition constante avec les gens de son entourage, surtout d’avoir des enfants des mieux accomplis. Quand je reviens à la maison, souvent je la surprends à déguster son thé par la fenêtre arrière, le regard vers le fleuve si large, si bleu, si beau, jetant des étincelles sous le soleil brillant et d’où quelques petites vagues aux reflets nuancés de l’opale provoquée par le courant, roulent doucement vers la rive, éclaboussant d’écumes neigeuses les rocailles qui émergent de l’eau. Ma mère aimait sa maison, son environnement, sa campagne. Elle avait la fierté de nous avoir trouvé une place de choix et de bien nous éduquer.
Marcel Debel
Avant-propos
Je m’immerge dans mon passé. Je traverse les méandres de mon existence depuis ma tendre jeunesse jusqu’à aujourd’hui avec courage et sérénité. J’ai foi en cet univers. Je suis un homme du peuple. Je souhaite laisser un témoignage d’expérience et de connaissance de la vie à mes enfants et à tous les lecteurs.
Dans mes anecdotes, je manipule les phrases mêlant ironies légères et réflexions profondes au fil des pages. Je vous fais part tantôt de mes doléances tantôt de mes enthousiasmes. Je mêle fantastique et réalité intimement éprouvés. Pour moi, écrire est d’abord un acte d’amour et de passion et cet amour va au-delà des apparences.
J’écris en toute sincérité sur ce que j’ai vécu et ressenti dans le temps, ce qui ne correspond pas nécessairement aux mêmes émotions que je ressens aujourd’hui. Avec le temps, ma façon de penser a changé, j’ai évolué et ma conception des événements et des personnes s’est considérablement renouvelée. De même, les personnages figurant dans mes anecdotes peuvent ne pas avoir les mêmes opinions ou sentiments que moi. Ils peuvent percevoir les mêmes situations et les mêmes événements différemment de moi.
Des anecdotes de vie en redevenant l’enfant que j’étais quand je vivais avec mes parents. Je revis l’écolier que j’étais à la petite école de Grande-Ile, le séminariste des années 50, cet adolescent qui se battait pour son estime de soi et son autonomie. Je ressuscite l’étudiant du soir à l’université des années 70 aux États-Unis. Tout a changé en moi depuis ce temps. 98 % des atomes de mon corps sont remplacés chaque année. J’ai évolué et je pense autrement. Même comparé avec l’année dernière, je suis une nouvelle personne. Mon corps et mon âme se renouvellent, se revitalisent constamment. Seuls les souvenirs demeurent. Là encore, je peux les interpréter différemment dans le temps ou selon mon humeur ou ma conception. C’est pourquoi, décrire des anecdotes de vie d’une façon réellement objective, précise et globale n’est pas facile. On n’en finirait plus. La magie du passé est la première publication d’une trilogie faisant partie de la collection « Tendresse ». Les deux autres livres ne s’engagent pas dans une suite, mais relatent d’autres faits et anecdotes aussi trépidantes et cocasses les unes les autres.
Dans ce premier recueil, je revois mon passé, mes erreurs, mes bons coups, ma solitude spirituelle, mon lot… J’ai parcouru montagnes et rivières et, tout à coup, je me suis trouvé sous un autre ciel. Je vis le présent tout en jetant un coup d’œil vers le futur, ce luxe impossible : le loisir, le rire, le succès. Le firmament de mon destin change et devient unique.
Je me questionne sur mes ancêtres, sur la famille, les valeurs traditionnelles, les grands problèmes du passé, ceux que j’ai vécus et ceux d’aujourd’hui, plusieurs personnes rencontrées sur le chemin de ma vie et qui m’ont le plus marqué.
J’ai inséré quelques poèmes dans mes nouvelles. Elles sont toutes précédées ou suivies par quelques éclaircissements. Je suis un écologiste philanthrope et je m’intéresse à l’anthropologie et à la métaphysique comme autodidacte. Pour moi, écrire de la poésie ou de la prose est une façon d’exprimer mes sentiments et de faire la promotion de mes valeurs. J’aime la poésie de l’âme, celle qui fait vibrer et donne goût à la vie.
J’apporte certaines fantaisies dans mes textes, des anecdotes particulières, de l’humour parfois osé mais dans le respect des personnes et dans la limite de la décence, la morale et les bonnes mœurs.
J’espère que mon écriture, mes mots, mes expressions inspireront les lecteurs. J’ai la passion du livre et de l’étude de l’histoire de la famille, une perle pour la postérité. Mon histoire, mon art, mes émotions jusqu’au tréfonds de mon être : voilà les bénédictions que j’ai à transmettre.
Des anecdotes qui ne se suivent pas nécessairement, mais chronologiquement logiques. Les principaux personnages secondaires se succèdent dans le temps selon le lieu, la date, les événements et la vie. Tous s’avèrent réels et exacts. Les faits et les circonstances représentent la réalité. Ce cocktail de poésie et de prose d’anecdotes et d’essai évoque mon engagement dans l’écriture, la prise de conscience de la beauté de la création et des bouleversements de notre monde tantôt avec humour, tantôt avec philosophie, tantôt avec tendresse. Chaque chapitre de La magie du passé retient un fragment de l’espace temporel.
Mon but de l’écriture est de propager la joie, le bien-être, le bonheur tout en divulguant des vérités, des connaissances, des faits, de l’histoire. C’est hilarant ! Les médecins devraient prescrire mes anecdotes et toutes les pharmacies en vendre. Elles sont uniques. Personne n’a raconté mon histoire et celle de ma famille encore. J’ai rapidement échangé avec plusieurs. Le temps passe vite, trop vite.
La magie du passé, que d’histoires ! Les vieilles remises, les hangars, les petites granges possèdent beaucoup d’histoires. Elles font partie du patrimoine québécois. Si elles pouvaient parler, elles auraient de bien nombreuses et vieilles histoires à raconter. Ces bâtisses en bois de grange, qui me rappelle la campagne où la vie se déroulait paisiblement dans mon enfance avant notre ère industrielle et tourmentée, représentent de charmants monuments historiques. Ce livre fait partie de la mémoire collective de Grande-Île et de plusieurs places où silencieusement j’y ai laissé une pensée.
Marcel Debel