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La neige pelote

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Louis Dupire est né en Bretagne en 1887 et est mort à Montréal en 1942. Journaliste, il a collaboré à différents journaux, souvent sous le couvert d'un pseudonyme. Il entre au Devoir en 1912, et y reste jusqu'à sa mort, signant des billets, des nouvelles, des éditoriaux, différents articles. Il a été aussi correspondant parlementaire à Québec, puis à Ottawa. En 1919, il publie Le Petit Monde : recueil de billets du soir.

La neige « pelote »

C ’était jeudi etla neige pelotait. Heureuse rencontre qui engendre, pour les enfants, douze heures de bonheur. Leurs instincts batailleurs les font chercher dans cette matière plus malléable que l’argile des munitions. Ils se « garrochent » avec fureur ; puis, lassés de la petite guerre, ils se tournent vers d’autres divertissements. Un piéton passe près d’un groupe et note l’air amusé et sournois des enfants qui tiennent quelque chose derrière le dos. Dix pas plus loin il reçoit, sur son couvre-chef une boule qui l’ébranle et le jette par terre. Là-bas fusent les rires des enfants qui excitent la colère de la cible et épient ses gestes pour voir si elle leur donnera pas la chasse. Ah ! comme on trouve meilleur le bonheur qu’on cueille au bord du danger ! La colère vous fait voir un moment rouge, ô passant, vous allez vous élancer malgré votre poids et votre dignité pour châtier les petits polissons, mais voilà que toute votre jeunesse vous remonte à la tête à la vue de leurs figures espiègles et vous vous rappelez les boules de neige que vous avez commises. Justice distributive et immanente : à trente ans vous attrapez la correction que vous méritiez à dix. Dans la rue, jouent d’autres groupes. Ceux-là plus paisibles trouvent dans la neige matière à exercer leurs talents de sculpteurs. L’école sphé- riste date de la première neige qui a blanchi la terre et de la première main d’enfant qui l’a palpée. Déjà des talents précoces donnent de l’allure et du mouvement aux bonshommes de neige. Et quelle ingéniosité dans la recherche des ingrédients qui imiteront le mieux la vie ! Pas de bonhomme complet sans une pipe qu’un bâton de hockey rompu quelquefois exprès – c’est la maman qui pestera ! – singe à merveille ; les morceaux de charbon font d’excellents boutons qui par les temps actuels ont plus de valeur que ne le pensent les enfants, et le chapeau sera celui d’un des juvéniles artistes qui y pincera un rhume, mais tant de plaisir. Le soir tout ce monde rentrera l’onglée aux doigts, les pieds gelés comme s’ils trempaient dans l’eau, mais les joues fardées par la santé. Quelle joie ils trouvent à triturer cette blancheur à leur âme pareille, et qu’ils doivent être tristes les hivers noirs des petits négrillons tropicaux. Les enfants ne seraient sûrement pas de l’avis de M. de Voltaire sur les arpents de neige – une jeudi qu’elle pelote.

Source: http://www.bibebook.com/files/ebook/libre/V2/dupire_louis_-_le_petit_monde.pdf