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La vie extravagante de Balthazar

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Maurice Leblanc (1864-1941)

"– Ainsi, mon petit monsieur, vous avez pu croire que moi, Charles Rondot, commerçant honorable, et connu comme tel dans les quartiers des Batignolles, j’accorderais la main de ma fille à un homme qui n’a pas de pùre ?

Le haut du corps agressif, les bras croisĂ©s et projetĂ©s en avant de la poitrine, la figure Ă©carlate, les sourcils en bataille ainsi que les crocs de la moustache, le buste trop lourd pour les jambes fluettes, Charles Rondot aurait dĂ» logiquement perdre l’équilibre et s’écrouler sur le malheureux prĂ©tendant dont l’audace le gonflait d’indignation.

Balthazar s’en rendit compte avec effroi. Assis du bout des fesses Ă  l’extrĂȘme bord d’une chaise, il se faisait tout petit devant la menace, rentrait son cou dans son faux col, cachait son unique gant jaune beurre dans son chapeau haut de forme, et son chapeau sous le pan d’une redingote noire dont les mites n’avaient pas dĂ©daignĂ© le drap luisant.

D’aspect chĂ©tif, les genoux et les coudes pointus, Balthazar Ă©tait mince et pĂąle. Son menton et ses joues s’ornaient d’une toison molle et soyeuse comme des cheveux, tandis que son crĂąne portait une vĂ©gĂ©tation courte et drue comme les poils d’une barbe clairsemĂ©e. Le nez Ă©tait large et sensuel, un nez d’homme gras, les yeux aimables et doux.

Essayant de plaisanter, il insinua timidement :

– Tout enfant suppose un pùre, cher monsieur...

– Un enfant qui n’a pas de nom n’a pas de pĂšre, jeune homme ! rugit Charles Rondot et quand on n’a ni pĂšre, ni Ă©tat civil, ni situation sociale, ni domicile avouable, on ne cherche pas Ă  capter la confiance d’un honorable commerçant.

– Pas de domicile ! s’écria Balthazar qui se rebiffait. Et la villa des DanaĂŻdes ? Pas de situation ! Et mon poste de professeur ?"

Balthazar, trentenaire orphelin et professeur d'un peu de tout, veut épouser Yolande. Mais Charles Rondot ne veut pas d'un gendre désargenté et sans pÚre... Balthazar, aprÚs de nombreuses péripéties, se retrouve avec plus de pÚres qu'il n'en faut !