Emmanuel Bove (1898-1945)
"Ce fut bien avant la guerre, en 1904 exactement, que Mlle Annie Villemur de Falais fit la connaissance de Jean-Melchior Ćtlinger. Elle avait vingt et un ans. Depuis plusieurs mois, elle suivait un cours mixte de peinture, non pas chez Julian ni Ă lâĂcole des Beaux-Arts, mais dans une acadĂ©mie de la rue de la Grande-ChaumiĂšre, ce dont elle Ă©tait fiĂšre, ce choix ne pouvant quâindiquer une vocation vĂ©ritable. Elle partageait lâadmiration des autres Ă©lĂšves pour les prĂ©raphaĂ©lites. Ses frĂšres, ses amies, son pĂšre mĂȘme, venaient parfois assister dâune embrasure Ă une sĂ©ance de pose, un peu gĂȘnĂ©s quand le modĂšle Ă©tait un homme nu, mais nâosant le dire de peur de paraĂźtre pudibonds. Annie Ă©tait une grande jeune fille blonde, embarrassĂ©e de sa beautĂ© comme on lâest de sa jeunesse dans certaines professions. Ă force dâinsistance, elle avait obtenu la permission de louer un atelier dans le haut de la rue dâAssas. Chaque semaine, elle y organisait de petites rĂ©ceptions. Aux camarades de travail, pour la plupart des Ă©trangers pauvres, ne manquait jamais de se joindre un membre de la famille Villemur qui veillait Ă ce que tout se passĂąt convenablement. Ce fut justement Ă un de ces thĂ©s que le massier de lâacadĂ©mie, pour lequel Mlle Villemur sâĂ©tait prise de sympathie parce que, comme tous les massiers, il avait Ă©tĂ© choisi parmi les Ă©lĂšves les plus mĂ©ritants de la classe, et quâelle gardait de son Ă©ducation lâhabitude dâĂȘtre compatissante, lui amena un de ses amis, homme sombre, ĂągĂ© dâune trentaine dâannĂ©es, portant une barbe en pointe, vĂȘtu assez cĂ©rĂ©monieusement dâune jaquette. CâĂ©tait le fils dâun professeur de Mulhouse, connu pour ses sentiments francophiles. Ă la mort de ce professeur, survenue en septembre 1895, Jean-Melchior Ćtlinger, dont la majoritĂ© avait Ă©tĂ© fĂȘtĂ©e en fĂ©vrier de la mĂȘme annĂ©e, son frĂšre aĂźnĂ© Martin et sa jeune sĆur Catherine avaient vendu la maison paternelle et Ă©taient venus se fixer Ă Paris, les garçons avec le dĂ©sir de continuer leurs Ă©tudes, la fille avec celui de faciliter la tĂąche de ses frĂšres en leur Ă©pargnant tous soucis domestiques."
Jean-NoĂ«l perd son pĂšre, Jean-Melchior Ćtlinger, alors qu'il est adolescent. Sa belle-mĂšre, Annie Villemur issue d'un milieu bourgeois et aisĂ©, continue de s'occuper de lui et de le protĂ©ger... Mais Jean-NoĂ«l se laisse porter par la vie et ne cesse de dĂ©cevoir Annie...