« L’intérêt général de l’industrie suisse s’oppose aux brevets. » Cet avis, exprimé en 1866 dans la Gazette de Lausanne, est alors largement partagé par les élites économiques et politiques du pays. En effet, la Suisse s’industrialise au XIXe siècle sans système de brevets d’invention, c’est-à-dire sans accorder de droits de propriété et d’exclusivité sur les nouveautés techniques. Les informations sur les machines de production ou les procédés chimiques circulent librement, et les fabricants helvétiques ne s’en privent pas pour renforcer leur compétitivité internationale.
Les choses changent à la fin du siècle. En 1888, le Parlement adopte la première loi fédérale sur les brevets. Le changement ne s’explique pas seulement par les accusations de piraterie exprimées par les industries d’autres pays, mais aussi par les positionnements et les intérêts des acteurs suisses eux-mêmes. L’ouvrage de Nicolas Chachereau cherche à comprendre quels groupes socio-économiques ont voulu la loi et pourquoi − et lesquels d’entre eux ont ensuite pu en tirer parti. Alors que beaucoup espéraient que les inventeurs modestes profitent des brevets, ceux-ci se révèlent bien plus importants pour les multinationales, notamment dans la fabrication de machines. Loin des discours actuels de célébration de l’innovation, ce livre dresse ainsi le portrait d’une institution en phase avec les évolutions générales du capitalisme helvétique de la même époque.