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Mes amis

E-book


Emmanuel Bove (1898-1945)

"Quand je m’éveille, ma bouche est ouverte. Mes dents sont grasses : les brosser le soir serait mieux, mais je n’en ai jamais le courage. Des larmes ont sĂ©chĂ© aux coins de mes paupiĂšres. Mes Ă©paules ne me font plus mal. Des cheveux raides couvrent mon front. De mes doigts Ă©cartĂ©s je les rejette en arriĂšre. C’est inutile : comme les pages d’un livre neuf, ils se dressent et retombent sur mes yeux.

En baissant la tĂȘte, je sens que ma barbe a poussĂ© : elle pique mon cou.

La nuque chauffĂ©e, je reste sur le dos, les yeux ouverts, les draps jusqu’au menton pour que le lit ne se refroidisse pas.

Le plafond est tachĂ© d’humiditĂ© : il est si prĂšs du toit. Par endroits, il y a de l’air sous le papier-tenture. Mes meubles ressemblent Ă  ceux des brocanteurs, sur les trottoirs. Le tuyau de mon petit poĂȘle est bandĂ© avec un chiffon, comme un genou. En haut de la fenĂȘtre, un store qui ne peut plus servir pend de travers.

En m’allongeant, je sens contre la plante des pieds – un peu comme un danseur de corde – les barreaux verticaux du lit-cage.

Les habits, qui pĂšsent sur mes mollets, sont plats, tiĂšdes d’un cĂŽtĂ© seulement. Les lacets de mes souliers n’ont plus de ferrets.

DĂšs qu’il pleut, la chambre est froide. On croirait que personne n’y a couchĂ©. L’eau, qui glisse sur toute la largeur des carreaux, ronge le mastic et forme une flaque, par terre.

Lorsque le soleil, tout seul dans le ciel, flamboie, il projette sa lumiÚre dorée au milieu de la piÚce. Alors, les mouches tracent sur le plancher mille lignes droites."

Victor Bùton, ancien combattant et pensionné, vit seul et ne travaille pas par choix. Ses voisins ne l'apprécient guÚre. Il n'a pas d'amis et en voudrait...