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Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie et le Thibet : Tome II : Le Thibet

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Evariste Huc (1813-1860)

"Deux mois s’étaient dĂ©jĂ  Ă©coulĂ©s depuis notre dĂ©part de la vallĂ©e des Eaux-Noires. Pendant ce temps, nous avions Ă©prouvĂ© dans le dĂ©sert des fatigues continuelles et des privations de tout genre. Notre santĂ©, il est vrai, n’était pas encore gravement altĂ©rĂ©e ; mais nous sentions que nos forces s’en Ă©taient allĂ©es, et nous Ă©prouvions le besoin de modifier pendant quelques jours notre rude façon de vivre. À ce point de vue, un pays habitĂ© par des Chinois ne pouvait manquer de nous sourire ; comparĂ© Ă  la Tartarie, il allait nous offrir tout le confortable imaginable.

AussitĂŽt que nous eĂ»mes traversĂ© le Hoang-ho, nous entrĂąmes dans la petite ville frontiĂšre nommĂ©e Chetsouidze, qui n’est sĂ©parĂ©e du fleuve que par une plage sablonneuse. Nous allĂąmes loger Ă  l’HĂŽtel de la Justice et de la MisĂ©ricorde (Jen-y-tien). La maison Ă©tait vaste et nouvellement bĂątie. À part une solide base en briques grises, toute la construction consistait en boiseries. L’aubergiste nous reçut avec cette courtoisie et cet empressement qu’on ne manque jamais de dĂ©ployer quand on veut donner de la vogue Ă  un Ă©tablissement de fraĂźche fondation ; cet homme, d’ailleurs d’un aspect peu avenant, voulait, Ă  force d’amabilitĂ©s et de prĂ©venances, racheter la dĂ©faveur qui Ă©tait rĂ©pandue sur sa figure ; ses yeux horriblement louches se tournaient toujours du cĂŽtĂ© opposĂ© Ă  celui qu’ils regardaient ; si l’organe de la vue fonctionnait avec difficultĂ©, la langue, par compensation, jouissait d’une Ă©lasticitĂ© merveilleuse. L’aubergiste, en sa qualitĂ© d’ancien satellite, avait beaucoup vu, beaucoup entendu, et surtout beaucoup retenu ; il connaissait tous les pays, et avait eu des relations avec tous les hommes imaginables. Sa loquacitĂ© fut pourtant loin de nous ĂȘtre toujours Ă  charge ; il nous donna des dĂ©tails de tout genre, sur les endroits grands et petits que nous aurions Ă  visiter, avant notre arrivĂ©e au Koukou-noor. Cette partie de la Tartarie lui Ă©tait mĂȘme assez connue, car, dans la pĂ©riode militaire de sa vie, il avait Ă©tĂ© faire la guerre contre les Si-fan. Le lendemain de notre arrivĂ©e, il nous apporta de grand matin une large feuille de papier oĂč Ă©taient Ă©crits, par ordre, les noms des villes, villages, hameaux et bourgades que nous avions Ă  traverser dans la province du Kan-sou ; il se mit ensuite Ă  nous faire de la topographie avec tant de feu, tant de gestes, et de si grands Ă©clats de voix, que la tĂȘte nous en tournait."

Tome II : Le Thibet.

En août 1844, le pÚre Evariste Huc, missionnaire de l'ordre des Lazaristes, entame un voyage d'exploration destiné à étudier les moeurs des Mongols et autres peuplades... Ce voyage durera 2 ans...