Isabelle Eberhardt (1877-1904)
"Dans un coin de la salle tapissĂ©e de planches pĂąles, une veilleuse en argent brĂ»lait, suspendue devant lâiconostase, une merveille de vieil art byzantin. Les ors Ă©teints des chĂąsses scintillaient faiblement, mettant un nimbe Ă©trange autour des visages Ă©maciĂ©s du Christ, de Marie et des ApĂŽtres.
Au milieu de la piÚce, deux grandes lampes éclairaient la table à nappe rouge, les verres à thé et le samovar de cuivre qui achevait sa petite chanson plaintive.
Une vingtaine de personnes causaient bruyamment, avec lâardeur presque violente des discussions russes.
Cependant, on sentait quâun souffle unique animait ces jeunes hommes pauvrement vĂȘtus, avec, quelques-uns, des blouses brodĂ©es de paysans, ces jeunes femmes en simples robes noires, sans ornements, sâaccoudant fraternellement parmi les hommes.
Et le maĂźtre de la maison, le philosophe nĂ©o-chrĂ©tien, Anntone Ossipow, souriait Ă ces enfants dâune autre gĂ©nĂ©ration, dâautres idĂ©es, qui se rĂ©unissaient chez lui en toute sĂ©curitĂ©. De stature athlĂ©tique avec une large barbe blanche sâĂ©talant sur sa poddiovka grise de moujik, Ossipow, trĂšs calme, ne se mĂȘlait guĂšre aux conversations. Une flamme allumait seule parfois ses larges prunelles bleues, le baignant tout entier dâune singuliĂšre clartĂ© trĂšs douce."
Orschanow est un étudiant en médecine, à Saint-Petersbourg. C'est un militant révolutionnaire et il aime Vera. Mais son amour de la liberté étant le plus fort, il quitte tout pour aller à Marseille...