Anton Tchekhov (1860-1904)
"Quel est – demandai-je maussadement au beau monsieur extrêmement souple et désinvolte, appelé Ivan Kamychov, qui me proposait, par besoin d’argent, l’insertion d’un gros manuscrit, – en me déclarant être un débutant, – quel est le sujet de votre œuvre ?
– Comment dire ?... Le sujet n’est pas neuf... L’amour... un meurtre... Lisez, vous verrez... C’est un souvenir de juge d’instruction.
Je fronçai apparemment les sourcils, car Kamychov cligna les yeux, tressaillit et dit rapidement :
– Mon récit est de vieux style judiciaire, mais vous y trouverez un fait vécu... la vérité... Tout ce que j’y évoque s’est, de A à Z, passé sous mes yeux ; j’en fus témoin et même j’y pris part...
– L’important n’est pas la vérité, et il n’est pas indispensable d’avoir vu pour décrire. Notre public en a depuis longtemps par-dessus les oreilles des Gaboriau et des Chkliarevski. Il est las de tous ces mystérieux assassinats, de ces adroites astuces de détectives et de l’extraordinaire sagacité des juges d’instruction. Il y a évidemment public et public. Je parle de celui qui lit notre journal. Quel est le titre de votre récit ?
– Un drame à la chasse.
– Voyons, ce n’est pas sérieux, ma parole !... Et, en vérité, j’ai déjà tant de textes à publier qu’il est positivement impossible d’en accueillir d’autres, eussent-ils des qualités certaines.
– Tout de même, monsieur, gardez mon manuscrit... Vous dites : « Ce n’est pas sérieux », mais il est difficile de qualifier ainsi ce qu’on n’a pas lu... Et ne voulez-vous pas admettre que des juges d’instruction eux-mêmes ne peuvent pas écrire sérieusement ?"
Kamichov, juge d'instruction, confie au rédacteur en chef d'un journal, son manuscrit dans lequel il raconte son histoire : ses retrouvailles avec un ancien camarade de beuverie : un comte alcoolique, l'amour qu'ils ont, tous les deux, pour la même fille ; Ôlga, et un drame à la chasse dont il fut témoin voire même acteur...