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Un mari pacifique

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Tristan Bernard (1866-1947)

"Quand Daniel rentra du bureau, aprĂšs avoir attendu assez longtemps chez le coiffeur, Berthe Ă©tait dĂ©jĂ  en toilette de soirĂ©e. Avec une irritation que ne calmait point la prĂ©sence sur son menton d’un petit bouton rouge, la jeune femme affirma qu’il Ă©tait prĂšs de huit heures. « Et la carte des Capitan, ajouta-t-elle, porte sept heures trois quarts exactement. » Daniel essaya de prĂ©tendre qu’il n’était que sept heures et demie et que, lorsqu’on dit sept heures trois quarts, c’est huit heures... Vraiment, ce n’était pas gai de se mettre en retard avec des gens qui vous invitent pour la premiĂšre fois. M. Capitan, un ancien commis de magasin, avait dĂ» sa fortune et son Ă©lĂ©vation Ă  son air distinguĂ©, toujours trop distinguĂ©, semblait-il, pour les positions oĂč il se trouvait ; quand il fut parvenu Ă  la grande opulence, on commença Ă  s’apercevoir qu’il ressemblait Ă  un prestidigitateur hongrois. Tel qu’il Ă©tait, il impressionnait beaucoup le jeune mĂ©nage. Berthe et Daniel avaient Ă©tĂ© surpris et charmĂ©s de cette invitation Ă  dĂźner. Ils s’attendaient tout au plus Ă  une carte pour le bal.

Daniel enleva prĂ©cipitamment ses vĂȘtements un peu crottĂ©s. La femme de chambre Ă©tait sortie chercher des Ă©pingles neige pour le front de madame, et la cuisiniĂšre ne savait pas oĂč Ă©tait l’habit. Daniel se souvint tout Ă  coup qu’il n’avait qu’un bouton de perle pour les deux boutonniĂšres de son devant de chemise. L’autre bouton avait Ă©tĂ© perdu et Daniel portait pour toute sa vie le remords de n’avoir pas attachĂ© toute la garniture avec un fil de soie ; ce qui est une prĂ©caution indispensable quand on porte des plastrons mous."

Suite de "Mémoires d'un jeune homme rangé".

Daniel et Berthe sont mariés. Un bébé arrive. Ils continuent de vivre bourgeoisement dans le moule du conformisme. Un jour Daniel retrouve un de ses anciens camarades d'école...