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Le feu : journal d'une escouade

E-book


Henri Barbusse (1873-1935)

"La Dent-du-Midi, l'Aiguille-Verte et le Mont-Blanc font face aux figures exsangues émergeant des couvertures alignées sur la galerie du sanatorium.

Au premier étage de l'hÎpital-palais, cette terrasse à balcon de bois découpé, que garantit une véranda, est isolée dans l'espace, et surplombe le monde.

Les couvertures de laine fine – rouges, vertes, havane ou blanches – d'oĂč sortent des visages affinĂ©s aux jeux rayonnants, sont tranquilles. Le silence rĂšgne sur les chaises longues. Quelqu'un a toussĂ©. Puis, on n'entend plus que de loin en loin le bruit des pages d'un livre, tournĂ©es Ă  intervalles rĂ©guliers, ou le murmure d'une demande et d'une rĂ©ponse discrĂšte, de voisin Ă  voisin, ou parfois, sur la balustrade, le tumulte d'Ă©ventail d'une corneille hardie Ă©chappĂ©e aux bandes qui font, dans l'immensitĂ© transparente, des chapelets de perles noires.

Le silence est la loi. Au reste, ceux qui, riches, indĂ©pendants, sont venus ici de tous les points de la terre, frappĂ©s du mĂȘme malheur, ont perdu l'habitude de parler. Ils sont repliĂ©s sur eux-mĂȘmes, et pensent Ă  leur vie et Ă  leur mort.

Une servante parait sur la galerie ; elle marche doucement et est habillée de blanc. Elle apporte des journaux, les distribue.

– C'est chose faite, dit celui qui a dĂ©ployĂ© le premier son journal, la guerre est dĂ©clarĂ©e.

Si attendue qu'elle soit, la nouvelle cause une sorte d'éblouissement, car les assistants en sentent les proportions démesurées."

Henri Barbusse raconte ces longs mois passés au front, dans les tranchées. Les héros sont ses compagnons d'armes, venus d'univers différents et de tout ùge. "Il faut tenir" est le principal mot d'ordre... Tenir mais aussi survivre. Un à un, ces hommes, auxquels on s'attache facilement, disparaissent, sacrifiés au dieu de la guerre.

Prix Goncourt 1916