"Dans LâAmant, Marguerite Duras reprend sur le ton de la confidence les images et les thĂšmes qui hantent toute son Ćuvre. Ses lecteurs vont pouvoir ensuite descendre ce grand fleuve aux lenteurs asiatiques et suivre la romanciĂšre dans tous les mĂ©andres du delta, dans la moiteur des riziĂšres, dans les secrets ombreux oĂč elle a dĂ©veloppĂ© lâincantation rĂ©pĂ©titive et obsĂ©dante de ses livres, de ses films, de son thĂ©Ăątre. Au sens propre, Duras est ici remontĂ©e Ă ses sources, Ă sa âscĂšne fondamentaleâ : ce moment oĂč, vers 1930, sur un bac traversant un bras du MĂ©kong, un Chinois richissime sâapproche dâune petite Blanche de quinze ans quâil va aimer.
Il faut lire les plus beaux morceaux de LâAmant Ă haute voix. On percevra mieux ainsi le rythme, la scansion, la respiration intime de la prose, qui sont les subtils secrets de lâĂ©crivain. DĂšs les premiĂšres lignes du rĂ©cit Ă©clatent lâart et le savoir-faire de Duras, ses libertĂ©s, ses dĂ©fis, les conquĂȘtes de trente annĂ©es pour parvenir Ă Ă©crire cette langue allĂ©gĂ©e, neutre, rapide et lancinante Ă la fois capable de saisir toutes les nuances, dâaller Ă la vitesse exacte de la pensĂ©e et des images. Un extrĂȘme rĂ©alisme (on voit le fleuve, on entend les cris de Cholon derriĂšre les persiennes dans la garçonniĂšre du Chinois), et en mĂȘme temps une sorte de rĂȘve Ă©veillĂ©, de vie rĂȘvĂ©e, un cauchemar de vie : cette prose Ă nulle autre pareille est dâune formidable efficacitĂ©. Ă la fois la modernitĂ©, la vraie, et des singularitĂ©s qui sont hors du temps, des styles, de la mode."
François Nourissier