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La Princesse de Montpensier

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La Princesse de Montpensier

Madame de La Fayette

Pendant que la guerre civile dĂ©chirait la France sous le rĂšgne de Charles IX, l'amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de dĂ©sordres et d'en causer beaucoup dans son empire. La fille unique du marquis de MĂ©ziĂšres, hĂ©ritiĂšre trĂšs considĂ©rable, et par ses grands biens, et par l'illustre maison d'Anjou dont elle Ă©tait descendue, Ă©tait promise au duc du Maine, cadet du duc de Guise, que l'on a depuis appelĂ© le BalafrĂ©. L'extrĂȘme jeunesse de cette grande hĂ©ritiĂšre retardait son mariage; et cependant le duc de Guise qui la voyait souvent, et qui voyait en elle les commencements d'une grande beautĂ©, en devĂźnt amoureux et en fut aimĂ©. Ils cachĂšrent leur amour avec beaucoup de soin. Le duc de Guise, qui n'avait pas encore autant d'ambition qu'il en a eu depuis, souhaitait ardemment de l'Ă©pouser, mais la crainte du cardinal de Lorraine, qui lui tenait lieu de pĂšre, l'empĂȘchait de se dĂ©clarer. Les choses Ă©taient en cet Ă©tat, lorsque la maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu'avec envie l'Ă©lĂ©vation de celle de Guise, s'apercevant de l'avantage qu'elle recevrait de ce mariage, se rĂ©solut de le lui ĂŽter et d'en profiter elle-mĂȘme en faisant Ă©pouser cette hĂ©ritiĂšre au jeune prince de Montpensier. On travailla Ă  l'exĂ©cution de ce dessein avec tant de succĂšs, que les parents de Mlle de MĂ©ziĂšres, contre les promesses qu'ils avaient faites au cardinal de Lorraine, se rĂ©solurent de la donner en mariage Ă  ce jeune prince. Toute la maison de Guise fut extrĂȘmement surprise de ce procĂ©dĂ©, mais le duc en fut accablĂ© de douleur, et l'intĂ©rĂȘt de son amour lui fit recevoir, ce manquement de parole comme un affront insupportable. Son ressentiment Ă©clata bientĂŽt, malgrĂ© les rĂ©primandes du cardinal de Lorraine et du duc d'Aumale, ses oncles, qui ne voulaient pas s'opiniĂątrer Ă  une chose qu'ils voyaient ne pouvoir empĂȘcher, et il s'emporta avec tant de violence, en prĂ©sence mĂȘme du jeune prince de Montpensier, qu'il en naquit entre eux une haine qui ne finit qu'avec leur vie. Mlle de MĂ©ziĂšres, tourmentĂ©e par ses parents d'Ă©pouser ce prince, voyant d'ailleurs qu'elle ne pouvait Ă©pouser le duc de Guise, et connaissant par sa vertu qu'il Ă©tait dangereux d'avoir pour beau-frĂšre un homme qu'elle eĂ»t souhaitĂ© pour mari, se rĂ©solut enfin de suivre le sentiment de ses proches et conjura M. de Guise de ne plus apporter d'obstacle Ă  son mariage. Elle Ă©pousa donc le prince de Montpensier qui, peu de temps aprĂšs, l'emmena Ă  Champigny, sĂ©jour ordinaire des princes de sa maison, pour l'ĂŽter de Paris oĂč apparemment tout l'effort de la guerre allait tomber. Cette grande ville Ă©tait menacĂ©e d'un siĂšge par l'armĂ©e des huguenots, dont le prince de CondĂ© Ă©tait le chef, et qui venait de dĂ©clarer la guerre au roi pour la seconde fois. Le prince de Montpensier, dans sa plus tendre jeunesse, avait fait une amitiĂ© trĂšs particuliĂšre avec le comte de Chabanes, qui Ă©tait un homme d'un Ăąge beaucoup plus avancĂ© que lui et d'un mĂ©rite extraordinaire. Ce comte avait Ă©tĂ© si sensible Ă  l'estime et Ă  la confiance de ce jeune prince, que, contre les engagements qu'il avait avec le prince de CondĂ©, qui lui faisait espĂ©rer des emplois considĂ©rables dans le parti des huguenots, il se dĂ©clara pour les catholiques, ne pouvant se rĂ©soudre Ă  ĂȘtre opposĂ© en quelque chose Ă  un homme qui lui Ă©tait si cher. Ce changement de parti n'ayant point d'autre fondement, l'on douta qu'il fĂ»t vĂ©ritable, et, la reine mĂšre, Catherine de MĂ©dicis, en eut de si grands soupçons que, la guerre Ă©tant dĂ©clarĂ©e par les huguenots, elle eut dessein de le faire arrĂȘter, mais le prince de Montpensier l'en empĂȘcha et emmena Chabanes Ă  Champigny en s'y en allant avec sa femme. Le comte, ayant l'esprit fort doux et fort agrĂ©able, gagna bientĂŽt l'estime de la princesse de Montpensier, et en peu de temps, elle n'eut pas moins de confiance et d'amitiĂ© pour lui qu'en avait le prince son mari. Chabanes, de son cĂŽtĂ©, regardait avec admiration tant de beautĂ©, d'esprit et de vertu qui paraissaient en cette jeune princesse, et, se servant de l'amitiĂ© qu'elle lui tĂ©moignait, pour lui inspirer des sentiments d'une vertu extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance, il la rendit en peu de temps une des personnes du monde la plus achevĂ©e. Le prince Ă©tant revenu Ă  la cour, oĂč la continuation de la guerre l'appelait, le comte demeura seul avec la princesse et continua d'avoir pour elle un respect et une amitiĂ© proportionnĂ©s Ă  sa qualitĂ© et Ă  son mĂ©rite. La confiance s'augmenta de part et d'autre; et Ă  tel point du cĂŽtĂ© de la princesse de Montpensier, qu'elle lui apprit l'inclination qu'elle avait eue pour M. de Guise, mais elle lui apprit aussi en mĂȘme temps qu'elle Ă©tait presque Ă©teinte et qu'il ne lui en restait que ce qui Ă©tait nĂ©cessaire pour dĂ©fendre l'entrĂ©e de son cƓur Ă  une autre inclination, et que, la vertu se joignant Ă  ce reste d'impression, elle n'Ă©tait capable que d'avoir du mĂ©pris pour ceux qui oseraient avoir de l'amour pour elle. Le comte qui connaissait la sincĂ©ritĂ© de cette belle princesse et qui lui voyait d'ailleurs des dispositions si opposĂ©es Ă  la faiblesse de la galanterie, ne douta point de la vĂ©ritĂ© de ses paroles, et nĂ©anmoins il ne put se dĂ©fendre de tant de charmes qu'il voyait tous les jours de si prĂšs. Il devint passionnĂ©ment amoureux de cette princesse, et, quelque honte qu'il trouvĂąt Ă  se laisser surmonter, il fallut cĂ©der et l'aimer de la plus violente et de la plus sincĂšre passion qui fĂ»t jamais. S'il ne fut pas maĂźtre de son cƓur, il le fut de ses actions. Le changement de son Ăąme n'en apporta point dans sa conduite et personne ne soupçonna son amour. Il prit un soin exact, pendant une annĂ©e entiĂšre, de le cacher Ă  la princesse, et il crut qu'il aurait toujours le mĂȘme dĂ©sir de le lui cacher. L'amour fit en lui ce qu'il fait en tous les autres, il lui donna l'envie de parler et, aprĂšs tous les combats qui ont accoutumĂ© de se faire en pareilles occasions, il osa lui dire qu'il l'aimait, s'Ă©tant bien prĂ©parĂ© Ă  essuyer les orages dont la fiertĂ© de cette princesse le menaçait. Mais il trouva en elle une tranquillitĂ© et une froideur pires mille fois que toutes les rigueurs Ă  quoi il s'Ă©tait attendu. Elle ne prit pas la peine de se mettre en colĂšre contre lui. Elle lui reprĂ©senta en peu de mots la diffĂ©rence de leurs qualitĂ©s et de leur Ăąge, la connaissance particuliĂšre qu'il avait de sa vertu et de l'inclination quelle avait eue pour le duc de Guise, et surtout ce qu'il devait Ă  l'amitiĂ© et Ă  la confiance du prince son mari. Le comte pensa mourir Ă  ses pieds de honte et de douleur. Elle tĂącha de le consoler en l'assurant qu'elle ne se souviendrait jamais de ce qu'il venait de lui dire, qu'elle ne se persuaderait jamais une chose qui lui Ă©tait si dĂ©savantageuse et qu'elle ne le regarderait jamais que comme son meilleur ami. Ces assurances consolĂšrent le comte, comme on se le peut imaginer. Il sentit le mĂ©pris des paroles de la princesse dans toute leur Ă©tendue, et, le lendemain, la revoyant avec visage aussi ouvert que de coutume, son affliction en redoubla de la moitiĂ©. Le procĂ©dĂ© de la princesse ne la diminua pas. Elle vĂ©cut avec lui avec la mĂȘme bontĂ© qu'elle avait accoutumĂ©. Elle lui reparla, quand l'occasion en fit naĂźtre le discours, de l'inclination quelle avait eue pour le duc de Guise, et, la renommĂ©e commençant alors Ă  publier les grandes qualitĂ©s qui paraissaient en ce prince, elle lui avoua qu'elle en sentait de la joie et qu'elle Ă©tait bien aise de voir qu'il mĂ©ritait les sentiments qu'elle avait eus pour lui. Toutes ces marques de confiance, qui avaient Ă©tĂ© si chĂšres au comte, lui devinrent insupportables. Il n'osait pourtant le tĂ©moigner Ă  la princesse, quoiqu'il osĂąt bien la faire souvenir quelquefois de ce qu'il avait eu la hardiesse de lui dire. AprĂšs deux annĂ©es d'absence, la paix Ă©tant faite, le prince de Montpensier revint trouver la princesse sa femme, tout couvert de la gloire qu'il avait acquise au siĂšge de Paris et Ă  la bataille de Saint-Denis. Il fut surpris de voir la beautĂ© de cette princesse dans une si grande perfection, et, par le sentiment d'une jalousie qui lui Ă©tait naturelle, il en eut quelque chagrin, prĂ©voyant bien qu'il ne serait pas seul Ă  la trouver belle. Il eut beaucoup de joie de revoir le comte de Chabanes, pour qui son amitiĂ© n'Ă©tait point diminuĂ©e. Il lui demanda confidemment des nouvelles de l'esprit et de l'humeur de sa femme, qui lui Ă©tait quasi une personne inconnue, par le peu de temps qu'il avait demeurĂ© avec elle. Le comte, avec une sincĂ©ritĂ© aussi exacte que s'il n'eĂ»t point Ă©tĂ© amoureux, dit au prince tout ce qu'il connaissait en cette princesse capable de la lui faire aimer, et il avertit aussi Mme de Montpensier de toutes les choses qu'elle devait faire pour achever de gagner le cƓur et l'estime de son mari.

Enfin, la passion du comte le portait si naturellement Ă  ne songer qu'Ă  ce qui pouvait augmenter le bonheur et la gloire de cette princesse, qu'il oubliait sans peine l'intĂ©rĂȘt qu'ont les amants Ă  empĂȘcher que les personnes qu'ils aiment ne soient dans une parfaite intelligence avec leurs maris. La paix ne fit que paraĂźtre. La guerre recommença aussitĂŽt, par le dessein qu'eut le roi de faire arrĂȘter Ă  Noyers le prince de CondĂ© et l'amiral de ChĂątillon, et, ce dessein ayant Ă©tĂ© dĂ©couvert, l'on commença de nouveau les prĂ©paratifs de la guerre, et le prince de Montpensier fut contraint de quitter sa femme pour se rendre oĂč son devoir l'appelait. Chabanes le suivit Ă  la cour, s'Ă©tant entiĂšrement justifiĂ© auprĂšs de la reine. Ce ne fut pas sans une douleur extrĂȘme qu'il quitta la princesse qui, de son cĂŽtĂ©, demeura fort triste des pĂ©rils oĂč la guerre allait exposer son mari. Les chefs des huguenots s'Ă©taient retirĂ©s Ă  La Rochelle. Le Poitou et la Saintonge Ă©tant dans leur parti, la guerre s'y alluma fortement et le roi y rassembla toutes ses troupes. Le duc d'Anjou, son frĂšre, qui fut depuis Henri III, y acquit beaucoup de gloire par plusieurs belles actions, et entre autres par la bataille de Jarnac, oĂč le prince de CondĂ© fut tuĂ©. Ce fut dans cette guerre que le duc de Guise commença Ă  avoir des emplois considĂ©rables et Ă  faire connaĂźtre qu'il passait de beaucoup les grandes espĂ©rances qu'on avait conçues de lui. Le prince de Montpensier, qui le haĂŻssait, et comme son ennemi particulier, et comme celui de sa maison, ne voyait qu'avec peine la gloire de ce duc, aussi bien que l'amitiĂ© que lui tĂ©moignait le duc d'Anjou. AprĂšs que les deux armĂ©es se furent fatiguĂ©es par beaucoup de petits combats, d'un commun consentement on licencia les troupes pour quelque temps. Le duc d'Anjou demeura Ă  Loches, pour donner ordre Ă  toutes les places qui eussent pu ĂȘtre attaquĂ©es. Le duc de Guise y demeura avec lui et le prince de Montpensier, accompagnĂ© du comte de Chabanes, s'en retourna Ă  Champigny, qui n'Ă©tait pas fort Ă©loignĂ© de lĂ . Le duc d'Anjou allait souvent visiter les places qu'il faisait fortifier. Un jour qu'il revenait Ă  Loches par un chemin peu connu de ceux de sa suite, le duc de Guise, qui se vantait de le savoir, se mit Ă  la tĂȘte de la troupe pour servir de guide, mais, aprĂšs avoir marchĂ© quelque temps, il s'Ă©gara et se trouva sur le bord dune petite riviĂšre qu'il ne reconnut pas lui-mĂȘme. Le duc d'Anjou lui fit la guerre de les avoir si mal conduits et, Ă©tant arrĂȘtĂ©s en ce lieu, aussi disposĂ©s Ă  la joie qu'ont accoutumĂ© de l'ĂȘtre de jeunes princes, ils aperçurent un petit bateau qui Ă©tait arrĂȘtĂ© au milieu de la riviĂšre, et, comme elle n'Ă©tait pas large, ils distinguĂšrent aisĂ©ment dans ce bateau trois ou quatre femmes, et une entre autres qui leur sembla fort belle, qui Ă©tait habillĂ©e magnifiquement, et qui regardait avec attention deux hommes qui pĂȘchaient auprĂšs d'elle, Cette aventure donna une nouvelle joie Ă  ces jeunes princes et Ă  tous ceux de leur suite. Elle leur parut une chose de roman. Les uns disaient au duc de Guise qu'il les avait Ă©garĂ©s exprĂšs pour leur faire voir cette belle personne, les autres, qu'il fallait, aprĂšs ce qu'avait fait le hasard, qu'il en devĂźnt amoureux, et le duc d'Anjou soutenait que c'Ă©tait lui qui devait ĂȘtre son amant. Enfin, voulant pousser l'aventure Ă  bout, ils firent avancer dans la riviĂšre de leurs gens Ă  cheval, le plus avant qu'Ă  se put; pour crier Ă  cette dame que c'Ă©tait monsieur d'Anjou qui eĂ»t bien voulu passer de l'autre cĂŽtĂ© de l'eau et qui priait qu'on le vĂźnt prendre. Cette dame, qui Ă©tait la princesse de Montpensier, entendant dire que le duc d'Anjou Ă©tait lĂ  et ne doutant point, Ă  la quantitĂ© des gens qu'elle voyait au bord de l'eau, que ce ne fĂ»t lui, fit avancer son bateau pour aller du cĂŽtĂ© oĂč il Ă©tait. Sa bonne mine le lui fit bientĂŽt distinguer des autres, mais elle distingua encore plutĂŽt le duc de Guise. Sa vue lui apporta un trouble qui la fit un peu rougir et qui la fit paraĂźtre aux yeux de ces princes dans une beautĂ© qu'ils crurent surnaturelle. Le duc de Guise la reconnut d'abord, malgrĂ© le changement avantageux qui s'Ă©tait fait en elle depuis les trois annĂ©es qu'il ne lavait vue. Il dit au duc d'Anjou qui elle Ă©tait, qui fut honteux d'abord de la libertĂ© qu'il avait prise, mais voyant Mme de Montpensier si belle, et cette aventure lui plaisant si fort, il se rĂ©solut de l'achever, et aprĂšs mille excuses et mille compliments, il inventa une affaire considĂ©rable, qu'il disait avoir au-delĂ  de la riviĂšre et accepta l'offre qu'elle lui fit de le passer dans son bateau. Il y entra seul avec le duc de Guise, donnant ordre Ă  tous ceux qui les suivaient d'aller passer la riviĂšre Ă  un autre endroit et de les venir joindre Ă  Champigny, que Mme de Montpensier leur dit qui n'Ă©tait qu'Ă  deux lieues de lĂ . SitĂŽt qu'ils furent dans le bateau, le duc d'Anjou lui demanda Ă  quoi ils devaient une si agrĂ©able rencontre et ce qu'elle faisait au milieu de la riviĂšre. Elle lui rĂ©pondit qu'Ă©tant partie de Champigny avec le prince son mari, dans le dessein de le suivre Ă  la chasse, s'Ă©tant trouvĂ©e trop lasse, elle Ă©tait venue sur le bord de la riviĂšre oĂč la curiositĂ© de voir prendre un saumon, qui avait donnĂ© dans un filet, l'avait fait entrer dans ce bateaux. M. de Guise ne se mĂȘlait point dans la conversation, mais, sentant rĂ©veiller vivement dans son cƓur tout ce que cette princesse y avait autrefois fait naĂźtre; il pensait en lui-mĂȘme qu'il sortirait difficilement de cette aventure sans rentrer dans ses liens. Ils arrivĂšrent bientĂŽt au bord, oĂč ils trouvĂšrent les chevaux et les Ă©cuyers de Mme de Montpensier, qui l'attendaient. Le duc d'Anjou et le duc de Guise lui aidĂšrent Ă  monter Ă  cheval, oĂč elle se remit avec une grĂące admirable. Pendant tout le chemin, elle les entretint agrĂ©ablement de diverses choses. Ils ne furent pas moins surpris des charmes de son esprit qu'ils l'avaient Ă©tĂ© de sa beautĂ©, et ils ne purent s'empĂȘcher de lui faire connaĂźtre qu'ils en Ă©taient extraordinairement surpris. Elle rĂ©pondit Ă  leurs louanges avec toute la modestie imaginable, mais un peu plus froidement Ă  celles du duc de Guise, voulant garder une fiertĂ© qui l'empĂȘchait de fonder aucune espĂ©rance sur l'inclination qu'elle avait eue pour lui. En arrivant dans la premiĂšre cour de Champigny, ils trouvĂšrent le prince de Montpensier, qui ne faisait que de revenir de la chasse. Son Ă©tonnement fut grand de voir marcher deux hommes Ă  cĂŽtĂ© de sa femme, mais il fut extrĂȘme quand, s'approchant de plus prĂšs, il reconnut que c'Ă©tait le duc d'Anjou et le duc de Guise. La haine qu'il avait pour le dernier, se joignant Ă  sa jalousie naturelle, lui fit trouver quelque chose de si dĂ©sagrĂ©able Ă  voir ces princes avec sa femme, sans savoir comment ils s'y Ă©taient trouvĂ©s, ni ce qu'ils venaient faire en sa maison, qu'il ne put cacher le chagrin qu'il en avait. Il en rejeta adroitement la cause sur la crainte de ne pouvoir recevoir un si grand prince selon sa qualitĂ©, et comme il l'eĂ»t bien souhaitĂ©. Le comte de Chabanes avait encore plus de chagrin de voir M. de Guise auprĂšs de Mme de Montpensier, que M. de Montpensier n'en avait lui-mĂȘme. Ce que le hasard avait fait pour rassembler ces deux personnes lui semblait de si mauvais augure, qu'il pronostiquait aisĂ©ment que ce commencement de roman ne serait pas sans suite. Mme de Montpensier fit, le soir, les honneurs de chez elle avec le mĂȘme agrĂ©ment qu'elle faisait toutes choses. Enfin elle ne plut que trop Ă  ses hĂŽtes. Le duc d'Anjou, qui Ă©tait fort galant et fort bien fait, ne put voir une fortune si digne de lui sans la souhaiter ardemment: Il fut touchĂ© du mĂȘme mal que M. de Guise et, feignant toujours des affaires extraordinaires, il demeura deux jours Ă  Champigny, sans ĂȘtre obligĂ© d'y demeurer que par les charmes de Mme de Montpensier, le prince son mari ne faisant point de violence pour l'y retenir. Le duc de Guise ne partit pas sans faire entendre Ă  Mme de Montpensier qu'il Ă©tait pour elle ce qu'il avait Ă©tĂ© autrefois, et, comme sa passion n'avait Ă©tĂ© sue de personne, il lui dit plusieurs fois devant tout le monde, sans ĂȘtre entendu que d'elle, que son cƓur n'Ă©tait point changĂ©. Et lui et le duc d'Anjou partirent de Champigny avec beaucoup de regret. Ils marchĂšrent longtemps tous deux dans un profond silence. Mais enfin le duc d'Anjou, s'imaginant tout d'un coup que ce qui faisait sa rĂȘverie, pouvait bien causer celle du duc de Guise, lui demanda brusquement s'il pensait aux beautĂ©s de la princesse de Montpensier. Cette demande si brusque, jointe Ă  ce qu'avait dĂ©jĂ  remarquĂ© le duc de Guise des sentiments du duc d'Anjou, lui fit voir qu'il serait infailliblement son rival et qu'il Ă©tait trĂšs important de ne pas dĂ©couvrir son amour Ă  ce prince. Pour lui en ĂŽter tout soupçon, il lui rĂ©pondit en riant qu'il paraissait lui-mĂȘme si occupĂ© de la rĂȘverie dont il l'accusait, qu'il n'avait pas jugĂ© Ă  propos de l'interrompre; que les beautĂ©s de la princesse de Montpensier n'Ă©taient pas nouvelles pour lui; qu'il s'Ă©tait accoutumĂ© Ă  en supporter l'Ă©clat du temps qu'elle Ă©tait destinĂ©e Ă  ĂȘtre sa belle-sƓur, mais qu'il voyait bien que tout le monde n'en Ă©tait pas si peu Ă©bloui. Le duc d'Anjou lui avoua qu'il n'avait encore rien vu qui lui parĂ»t comparable Ă  cette jeune princesse et qu'il sentait bien que sa vue lui pourrait ĂȘtre dangereuse, s'il y Ă©tait souvent exposĂ©. Il voulut faire convenir le duc de Guise qu'il sentait la mĂȘme chose, mais ce duc, qui commençait Ă  se faire une affaire sĂ©rieuse de son amour, n'en voulut rien avouer. Ces princes s'en retournĂšrent Ă  Loches, faisant souvent leur agrĂ©able conversation de l'aventure qui leur avait dĂ©couvert la princesse de Montpensier. Ce ne fut pas un sujet de si grand divertissement dans Champigny. Le prince de Montpensier Ă©tait mal content de tout ce qui Ă©tait arrivĂ©, sans qu'il en pĂ»t dire le sujet. Il trouvait mauvais que sa femme se fĂ»t trouvĂ©e dans ce bateau. Il lui semblait qu'elle avait reçu trop agrĂ©ablement ces princes, et, ce qui lui dĂ©plaisait le plus, Ă©tait d'avoir remarquĂ© que le duc de Guise l'avait regardĂ©e attentivement. Il en connut dĂšs ce moment une jalousie furieuse, qui le fit ressouvenir de l'emportement qu'il avait tĂ©moignĂ© lors de son mariage, et il eut quelque pensĂ©e que, dĂšs ce temps-lĂ  mĂȘme, il en Ă©tait amoureux. Le chagrin que tous ces soupçons lui causĂšrent donnĂšrent de mauvaises heures Ă  la princesse de Montpensier. Le comte de Chabanes, selon sa coutume, prit soin d'empĂȘcher qu'ils ne se brouillassent tout Ă  fait, afin de persuader par lĂ  Ă  la princesse combien la passion qu'il avait pour elle Ă©tait sincĂšre et dĂ©sintĂ©ressĂ©e. Il ne put s'empĂȘcher de lui demander l'effet qu'avait produit en elle la vue du duc de Guise. Elle lui apprit quelle en avait Ă©tĂ© troublĂ©e par la honte du souvenir de l'inclination qu'elle lui avait autrefois tĂ©moignĂ©e; qu'elle l'avait trouvĂ© beaucoup mieux fait qu'il n'Ă©tait en ce temps-lĂ , et que mĂȘme il lui avait paru qu'il voulait lui persuader qu'il l'aimait encore, mais elle l'assura, en mĂȘme temps, que rien ne pouvait Ă©branler la rĂ©solution qu'elle avait prise de ne s'engager jamais. Le comte de Chabanes eut bien de la joie d'apprendre cette rĂ©solution, mais rien ne le pouvait rassurer sur le duc de Guise. Il tĂ©moigna Ă  la princesse qu'il apprĂ©hendait extrĂȘmement que les premiĂšres impressions ne revinssent bientĂŽt, et il lui fit comprendre la mortelle douleur qu'il aurait, pour leur intĂ©rĂȘt commun, s'il la voyait un jour changer de sentiments. La princesse de Montpensier, continuant toujours son procĂ©dĂ© avec lui, ne rĂ©pondait presque pas Ă  ce qu'il lui disait de sa passion et ne considĂ©rait toujours en lui que la qualitĂ© du meilleur ami du monde, sans lui vouloir faire l'honneur de prendre garde Ă  celle d'amant.

Les armĂ©es Ă©tant remises sur pied, tous les princes y retournĂšrent, et le prince de Montpensier trouva bon que sa femme s'en vĂźnt Ă  Paris, pour n'ĂȘtre plus si proche des lieux oĂč se faisait la guerre. Les huguenots assiĂ©gĂšrent la ville de Poitiers. Le duc de Guise s'y jeta pour la dĂ©fendre et il y fit des actions qui suffiraient seules pour rendre glorieuse une autre vie que la sienne. Ensuite la bataille de Moncontour se donna. Le duc d'Anjou, aprĂšs avoir pris Saint-Jean-dAngĂ©ly, tomba malade, et quitta en mĂȘme temps l'armĂ©e, soit par la violence de son mal, soit par l'envie qu'il avait de revenir goĂ»ter le repos et les douceurs de Paris, oĂč la prĂ©sence de la princesse de Montpensier n'Ă©tait pas la moindre raison qui l'attirĂąt. L'armĂ©e demeura sous le commandement du prince de Montpensier, et, peu de temps aprĂšs, la paix Ă©tant faite, toute la cour se trouva Ă  Paris. La beautĂ© de la princesse effaça toutes celles qu'on avait admirĂ©es jusques alors. Elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de son esprit et de sa personne. Le duc d'Anjou ne changea pas Ă  Paris les sentiments qu'il avait conçus pour elle Ă  Champigny. Il prit un soin extrĂȘme de le lui faire connaĂźtre par toutes sortes de soins; prenant garde toutefois Ă  ne lui en pas rendre des tĂ©moignages trop Ă©clatants, de peur de donner de la jalousie au prince son mari. Le duc de Guise acheva d'en devenir violemment amoureux, et voulant, par plusieurs raisons, tenir sa passion cachĂ©e, il se rĂ©solut de la lui dĂ©clarer d'abord, afin de s'Ă©pargner tous ces commencements qui font toujours naĂźtre le bruit et l'Ă©clat. Etant un jour chez la reine Ă  une heure oĂč, il y avait trĂšs peu de monde; la reine s'Ă©tant retirĂ©e pour parler d'affaires avec le cardinal de Lorraine, la princesse de Montpensier y arriva. Il se rĂ©solut de prendre ce moment pour lui parler, et, s'approchant d'elle:

Je vais vous surprendre, madame, lui dit il, et vous déplaire en vous apprenant que j'ai toujours conservé cette passion qui vous a été connue autrefois, mais qui s'est si fort augmentée en vous revoyant, que ni votre sévérité, ni la haine de M. le prince de Montpensier, ni la concurrence du premier prince du royaume, ne sauraient lui Îter un moment de sa violence. Il aurait été plus respectueux de vous la faire connaßtre par mes actions que par mes paroles, mais, madame, mes actions l'auraient apprise à d'autres aussi bien qu'à vous et je souhaite que vous sachiez seule que je suis assez hardi pour vous adorer.

La princesse fut d'abord si surprise et si troublĂ©e de ce discours, qu'elle ne songea pas Ă  l'interrompre, mais ensuite, Ă©tant revenue Ă  elle et commençant Ă  lui rĂ©pondre, le prince de Montpensier entra. Le trouble et l'agitation Ă©taient peints sur le visage de la princesse, la vue de son mari acheva de l'embarrasser, de sorte quelle lui en laissa plus entendre que le duc de Guise ne lui en venait de dire. La reine sortit de son cabinet et le duc se retira pour guĂ©rir la jalousie de ce prince. La princesse de Montpensier trouva le soir dans l'esprit de son mari tout le chagrin imaginable. Il s'emporta contre elle avec des violences Ă©pouvantables, et lui dĂ©fendit de parler jamais au duc de Guise. Elle se retira bien triste dans son appartement et bien occupĂ©e des aventures qui lui Ă©taient arrivĂ©es ce jour-lĂ . Le jour suivant, elle revit le duc de Guise chez la reine, mais il ne l'aborda pas et se contenta de sortir un peu aprĂšs elle pour lui faire voir qu'il n'y avait que faire quand elle n'y Ă©tait pas. Il ne se passait point de jour qu'elle ne reçût mille marques cachĂ©es de la passion de ce duc, sans qu'il essayĂąt de lui en parler que lorsqu'il ne pouvait ĂȘtre vu de personne: Comme elle Ă©tait bien persuadĂ©e de cette passion, elle commença, nonobstant toutes les rĂ©solutions quelle avait faites Ă  Champigny, Ă  sentir dans le fond de son cƓur quelque chose de ce qui y avait Ă©tĂ© autrefois.

[Le duc d'Anjou, de son cĂŽtĂ©, qui n'oubliait rien pour lui tĂ©moigner son amour en tous les lieux oĂč il la pouvait voir et qui la suivait continuellement chez la reine, sa mĂšre, et la princesse, sa sƓur, en Ă©tait traitĂ© avec une rigueur Ă©trange et capable de guĂ©rir toute autre passion que la sienne.] On dĂ©couvrit, en ce temps-lĂ , que cette princesse, qui fut depuis la reine de Navarre, eut quelque attachement pour le duc de Guise; et ce qui le fit dĂ©couvrir davantage, fut le refroidissement qui parut du duc d'Anjou pour le duc de Guise. La princesse de Montpensier apprit cette nouvelle, qui ne lui fut pas indiffĂ©rente et qui lui fit sentir qu'elle prenait plus d'intĂ©rĂȘt au duc de Guise qu'elle ne pensait. M. de Montpensier, son beau-pĂšre, Ă©pousant alors Mlle de Guise, sƓur de ce duc, elle Ă©tait contrainte de le voir souvent dans les lieux oĂč les cĂ©rĂ©monies des noces les appelaient l'un et l'autre. La princesse de Montpensier, ne pouvant plus souffrir qu'un homme que toute la France croyait amoureux de Madame, osĂąt lui dire qu'il l'Ă©tait d'elle, et se sentant offensĂ©e et quasi affligĂ©e de s'ĂȘtre trompĂ©e elle-mĂȘme, un jour que le duc de Guise la rencontra chez sa sƓur, un peu Ă©loignĂ©e des autres et qu'il lui voulut parler de sa passion, elle l'interrompit brusquement et lui dit d'un ton de voix qui marquait sa colĂšre:

- Je ne comprends pas qu'il faille, sur le fondement d'une faiblesse dont on a été capable à treize ans, avoir l'audace de faire l'amoureux d'une personne comme moi, et surtout quand on l'est d'une autre à la vue de toute la cour.

Le duc de Guise, qui avait beaucoup d'esprit et qui était fort amoureux, n'eut besoin de consulter personne pour entendre tout ce que signifiait les paroles de la princesse. Il lui répondit avec beaucoup de respect:

- J'avoue, madame, que j'ai eu tort de ne pas mĂ©priser l'honneur d'ĂȘtre beau-frĂšre de mon roi plutĂŽt que de vous laisser soupçonner un moment que je pouvais dĂ©sirer un autre cƓur que le vĂŽtre, mais, si vous voulez me faire la grĂące de m'Ă©couter, je suis assurĂ© de me justifier auprĂšs de vous.

La princesse de Montpensier ne rĂ©pondit point, mais elle ne s'Ă©loigna pas, et le duc de Guise, voyant quelle lui donnait l'audience qu'il souhaitait, lui apprit que; sans s'ĂȘtre attirĂ© les bonnes grĂąces de Madame par aucun soin, elle l'en avait honorĂ©; que, n'ayant nulle passion pour elle, il avait trĂšs mal rĂ©pondu Ă  l'honneur qu'elle lui faisait, jusques Ă  ce qu'elle lui eĂ»t donnĂ© quelque espĂ©rance de l'Ă©pouser; qu'Ă  la vĂ©ritĂ© la grandeur oĂč ce mariage pouvait l'Ă©lever, l'avait obligĂ© de lui rendre plus de devoirs et que c'Ă©tait ce qui avait donnĂ© lieu au soupçon qu'en avaient eu le roi et le duc d'Anjou; que l'opposition de l'un ni de l'autre ne le dissuadait pas de son dessein, mais que, si ce dessein lui dĂ©plaisait, il l'abandonnait, dĂšs l'heure mĂȘme, pour n'y penser de sa vie. Le sacrifice que le duc de Guise faisait Ă  la princesse, lui fit oublier toute la rigueur et toute la colĂšre avec laquelle elle avait commencĂ© de lui parler. Elle changea de discours et se mit Ă  l'entretenir de la faiblesse qu'avait eue Madame de l'aimer la premiĂšre, et de l'avantage considĂ©rable qu'il recevrait en l'Ă©pousant. Enfin, sans rien dire d'obligeant au duc de Guise, elle lui fit revoir mille choses agrĂ©ables qu'il avait trouvĂ©es autrefois en Mlle de MĂ©ziĂšres. Quoiqu'ils ne se fussent point parlĂ© depuis longtemps, ils se trouvĂšrent accoutumĂ©s l'un Ă  l'autre, et leurs cƓurs se remirent aisĂ©ment dans un chemin qui ne leur Ă©tait pas inconnu. Ils finirent cette agrĂ©able conversation, qui laissa une sensible joie dans l'esprit du duc de Guise. La princesse n'en eut pas une petite de connaĂźtre qu'il l'aimait vĂ©ritablement. Mais quand elle fut dans son cabinet, quelles rĂ©flexions ne fit-elle point sur la honte de s'ĂȘtre laissĂ© flĂ©chir si aisĂ©ment aux excuses du duc de Guise, sur l'embarras oĂč elle s'allait plonger en s'engageant dans une chose qu'elle avait regardĂ©e avec tant d'horreur et sur les effroyables malheurs oĂč la jalousie de son mari la pouvait jeter! Ces pensĂ©es lui firent faire de nouvelles rĂ©solutions, mais qui se dissipĂšrent dĂšs le lendemain par la vue du duc de Guise. Il ne manquait point de lui rendre un compte exact de ce qui se passait entre Madame et lui. La nouvelle alliance de leurs maisons lui donnait occasion de lui parler souvent. Mais il, n'avait pas peu de peine Ă  la guĂ©rir de la jalousie que lui donnait la beautĂ© de Madame; contre laquelle il n'y avait point de serment qui la pĂ»t rassurer. Cette jalousie servait Ă  la princesse de Montpensier Ă  dĂ©fendre le reste de son cƓur contre les soins du duc de Guise, qui en avait dĂ©jĂ  gagnĂ© la plus grande partie. Le mariage du roi avec la fille de l'empereur Maximilien remplit la cour de fĂȘtes et de rĂ©jouissances. Le roi fit un ballet oĂč dansaient Madame et toutes les princesses. La princesse de Montpensier pouvait seule lui disputer le prix de la beautĂ©. Le duc d'Anjou dansait, une entrĂ©e de Maures, et le duc de Guise, avec quatre autres, Ă©tait de son entrĂ©e. Leurs habits Ă©taient tous pareils, comme le sont d'ordinaire les habits de ceux qui dansent une mĂȘme entrĂ©e. La premiĂšre fois que le ballet se dansa, le duc de Guise, devant que de danser, n'ayant pas encore son masque, dit quelques mots en passant Ă  la princesse de Montpensier. Elle s'aperçut bien que le prince son mari y avait pris garde, ce qui la mit en inquiĂ©tude. Quelque temps aprĂšs, voyant le duc d'Anjou avec son masque et son habit de Maure qui venait pour lui parler, troublĂ©e de son inquiĂ©tude, elle crut que c'Ă©tait encore le duc de Guise et, s'approchant de lui:

- N'ayez, des yeux ce soir que pour Madame, lui dit-elle, je n'en serai point jalouse, je vous l'ordonne, on m'observe, ne m'approchez plus.

Elle se retira sitĂŽt qu'elle eut achevĂ© ces paroles. Le duc d'Anjou en demeura accablĂ© comme d'un coup de tonnerre. Il vit dans ce moment qu'il avait un rival aimĂ©. Il comprit, par le nom de Madame, que ce rival Ă©tait le duc de Guise, et il ne put douter que la princesse sa sƓur ne fĂ»t le sacrifice qui avait tendu la princesse de Montpensier favorable aux vƓux de son rival. La jalousie, le dĂ©pit et la rage, se joignant Ă  la haine qu'il avait dĂ©jĂ  pour lui, firent dans son Ăąme tout ce qu'on peut imaginer de plus violent, et il eĂ»t donnĂ© sur l'heure quelque marque sanglante de son dĂ©sespoir, si la dissimulation qui lui Ă©tait naturelle ne fĂ»t venue Ă  son secours et ne l'eĂ»t obligĂ©, par des raisons puissantes, en l'Ă©tat qu'Ă©taient les choses, Ă  ne rien entreprendre contre le duc de Guise. Il ne put toutefois se refuser le plaisir de lui apprendre qu'il savait le secret de son amour; et, l'abordant en sortant de la salle oĂč l'on avait dansĂ©:

- C'est trop, lui dit-il, d'oser lever les yeux jusques Ă  ma sƓur et de m'ĂŽter ma maĂźtresse. La considĂ©ration du roi m'empĂȘche d'Ă©clater, mais souvenez-vous que la perte de votre vie sera peut-ĂȘtre la moindre chose dont je punirai quelque jour votre tĂ©mĂ©ritĂ©.

La fiertĂ© du duc de Guise n'Ă©tait pas accoutumĂ©e Ă  de telles menaces. Il ne put nĂ©anmoins y rĂ©pondre, parce que le roi, qui sortait en ce moment, les appela tous deux, mais elles gravĂšrent dans son cƓur un dĂ©sir de vengeance qu'il travailla toute sa vie Ă  satisfaire. DĂšs le mĂȘme soir, le duc d'Anjou lui rendit toutes sortes de mauvais offices auprĂšs du roi. Il lui persuada que jamais Madame ne consentirait d'ĂȘtre mariĂ©e avec le roi de Navarre avec qui on proposait de la marier, tant que l'on souffrirait que le duc de Guise l'approchĂąt, et qu'il Ă©tait honteux de souffrir qu'un de ses sujets, pour satisfaire Ă  sa vanitĂ©, apportĂąt de l'obstacle Ă  une chose qui devait donner la paix Ă  la France. Le roi avait dĂ©jĂ  assez d'aigreur contre le duc de Guise. Ce discours l'augmenta si fort que, le voyant le lendemain comme il se prĂ©sentait pour entrer au bal chez la reine, parĂ© d'un nombre infini de pierreries, mais plus parĂ© encore de sa bonne mine, il se mit Ă  l'entrĂ©e de la porte et lui demanda brusquement oĂč il allait. Le duc, sans s'Ă©tonner, lui dit qu'il venait pour lui rendre ses trĂšs humbles services; Ă  quoi le roi rĂ©pliqua qu'il n'avait pas besoin de ceux qu'il lui rendait, et se tourna sans le regarder. Le duc de Guise ne laissa pas d'entrer dans la salle, outrĂ© dans le cƓur, et contre le roi, et contre le duc d'Anjou. Mais sa douleur augmenta sa fiertĂ© naturelle et, par une maniĂšre de dĂ©pit, il s'approcha beaucoup plus de Madame qu'il n'avait accoutumĂ©; joint que ce que lui avait dit le duc d'Anjou de la princesse de Montpensier l'empĂȘchait de jeter les yeux sur elle. Le duc d'Anjou les observait soigneusement l'un et l'autre. Les yeux de cette princesse laissaient voir malgrĂ© elle quelque chagrin lorsque le duc de Guise parlait Ă  Madame. Le duc d'Anjou, qui avait compris par ce quelle lui avait dit en le prenant pour M. de Guise, qu'elle avait de la jalousie, espĂ©ra de les brouiller et, se mettant auprĂšs d'elle: C'est pour votre intĂ©rĂȘt, madame, plutĂŽt que pour le mien, lui dit-il, que je m'en vais vous apprendre que le duc de Guise ne mĂ©rite pas que vous l'ayez choisi Ă  mon prĂ©judice. Ne m'interrompez point, je vous prie, pour me dire le contraire d'une vĂ©ritĂ© que je ne sais que trop. Il vous trompe, madame, et vous sacrifie Ă  ma sƓur, comme il vous l'a sacrifiĂ©e. C'est un homme qui n'est capable que d'ambition mais, puisqu'il a eu le bonheur de vous plaire, c'est assez. Je ne m'opposerai point Ă  une fortune que je mĂ©ritais, sans doute, mieux que lui. Je men rendrais indigne si je m'opiniĂątrais davantage Ă  la conquĂȘte d'un cƓur qu'un autre possĂšde. C'est trop de n'avoir pu attirer que votre indiffĂ©rence. Je ne veux pas y faire succĂ©der la haine en vous importunant plus longtemps de la plus fidĂšle passion qui fut jamais.

Le duc d'Anjou, qui Ă©tait effectivement touchĂ© d'amour et de douleur, put Ă  peine achever ces paroles, et, quoiqu'il eĂ»t commencĂ© son discours dans un esprit de dĂ©pit et de vengeance, il s'attendrit, en considĂ©rant la beautĂ© de la princesse et la perte qu'il faisait en perdant l'espĂ©rance d'en ĂȘtre aimĂ©, de sorte que, sans attendre sa rĂ©ponse, il sortit du bal, feignant de se trouver mal, et s'en alla chez lui rĂȘver Ă  son malheur. La princesse de Montpensier demeura affligĂ©e et troublĂ©e, comme on se le peut imaginer. Voir sa rĂ©putation et le secret de sa vie entre les mains d'un prince qu'elle avait maltraitĂ© et apprendre par lui, sans pouvoir en douter, qu'elle Ă©tait trompĂ©e par son amant, Ă©taient des choses peu capables de lui laisser la libertĂ© d'esprit que demandait un lieu destinĂ© Ă  la joie. Il fallut pourtant demeurer en ce lieu et aller souper ensuite chez la duchesse de Montpensier, sa belle-mĂšre, qui l'emmena avec elle. Le duc de Guise, qui mourait d'impatience de lui conter ce que lui avait dit le duc d'Anjou le jour prĂ©cĂ©dent, la suivit chez sa sƓur. Mais quel fut son Ă©tonnement lorsque, voulant entretenir cette belle princesse, il trouva qu'elle ne lui parlait que pour lui faire des reproches Ă©pouvantables! Et le dĂ©pit lui faisait faire ces reproches si confusĂ©ment, qu'il n'y pouvait rien comprendre, sinon qu'elle l'accusait d'infidĂ©litĂ© et de trahison. AccablĂ© de dĂ©sespoir de trouver une si grande augmentation de douleur oĂč il avait espĂ©rĂ© de se consoler de tous ses ennuis et aimant cette princesse avec une passion qui ne pouvait plus le laisser vivre dans l'incertitude d'en ĂȘtre aimĂ©, il se dĂ©termina tout d'un coup:

- Vous serez satisfaite, madame, lui dit-il. Je m'en vais faire pour vous ce que toute la puissance royale n'aurait pu obtenir de moi. Il men coûtera ma fortune, mais c'est peu de chose pour vous satisfaire.

Sans demeurer davantage chez la duchesse sa sƓur, il s'en alla trouver, Ă  l'heure mĂȘme, les cardinaux, ses oncles et, sur le prĂ©texte du mauvais traitement qu'il avait reçu du roi, il leur fit voir une si grande nĂ©cessitĂ© pour sa fortune Ă  faire paraĂźtre qu'il n'avait aucune pensĂ©e d'Ă©pouser Madame, qu'il les obligea Ă  conclure son mariage avec la princesse de Portien, duquel on avait dĂ©jĂ  parlĂ©. La nouvelle de ce mariage fut aussitĂŽt sue par tout Paris. Tout le monde fut surpris, et la princesse de Montpensier en fut touchĂ©e de joie et de douleur. Elle fut bien aise de voir par lĂ  le pouvoir qu'elle avait sur le duc de Guise et elle fut fĂąchĂ©e en mĂȘme temps de lui avoir fait abandonner une chose aussi avantageuse que le mariage de Madame. Le duc de Guise, qui voulait au moins que l'amour le rĂ©compensĂąt de ce qu'il perdait du cĂŽtĂ© de la fortune, pressa la princesse de lui donner une audience particuliĂšre pour s'Ă©claircir des reproches injustes qu'elle lui avait faits. Il obtint qu'elle se trouverait chez la duchesse de Montpensier, sa sƓur, Ă  une heure que cette duchesse n'y serait pas et qu'il pourrait l'entretenir en particulier. Le duc de Guise eut la joie de se pouvoir jeter Ă  ses pieds, de lui parler en libertĂ© de sa passion et de lui dire ce qu'il avait souffert de ses soupçons. La princesse ne pouvait s'ĂŽter de l'esprit ce que lui avait dit le duc d'Anjou, quoique le procĂ©dĂ© du duc de Guise la dĂ»t absolument rassurer. Elle lui apprit le juste sujet qu'elle avait de croire qu'il l'avait trahie, puisque le duc d'Anjou savait ce qu'il ne pouvait avoir appris que de lui. Le duc de Guise ne savait par oĂč se dĂ©fendre et Ă©tait aussi embarrassĂ© que la princesse de Montpensier Ă  deviner ce qui avait pu dĂ©couvrir leur intelligence. Enfin, dans la suite de leur conversation, comme elle lui remontrait qu'il avait eu tort de prĂ©cipiter son mariage avec la princesse de Portien et d'abandonner celui de Madame, qui lui Ă©tait si avantageux, elle lui dit qu'il pouvait bien juger qu'elle n'en eĂ»t eu aucune jalousie, puisque, le jour du ballet, elle-mĂȘme l'avait conjurĂ© de n'avoir des yeux que pour Madame. Le duc de Guise lui dit qu'elle avait eu l'intention de lui faire ce commandement, mais qu'assurĂ©ment elle ne [le] lui avait pas fait. La princesse lui soutint le contraire. Enfin, Ă  force de disputer et d'approfondir, ils trouvĂšrent qu'il fallait qu'elle se fĂ»t trompĂ©e dans la ressemblance des habits et qu'elle-mĂȘme eĂ»t appris au duc d'Anjou ce qu'elle accusait le duc de Guise de lui avoir appris. Le duc de Guise, qui Ă©tait presque justifiĂ© dans son esprit par son mariage, le fut entiĂšrement par cette conversation. Cette belle princesse ne put refuser son cƓur. Ă  un homme qui l'avait possĂ©dĂ© autrefois et qui venait de tout abandonner pour elle. Elle consentit donc Ă  recevoir ses vƓux et lui permit de croire qu'elle n'Ă©tait pas insensible Ă  sa passion. L'arrivĂ©e de la duchesse de Montpensier, sa belle-mĂšre, finit cette conversation et empĂȘcha le duc de Guise de lui faire voir les transports de sa joie. Quelque temps aprĂšs, la cour sen allant Ă  Blois, oĂč la princesse de Montpensier la suivit, le mariage de Madame avec le roi de Navarre y fut conclu. Le duc de Guise, ne connaissant plus de grandeur ni de bonne fortune que celle d'ĂȘtre aimĂ© de la princesse, vit avec joie la conclusion de ce mariage, qui l'aurait comblĂ© de douleur dans un autre temps. Il ne pouvait si bien cacher son amour que le prince de Montpensier n'en entrevĂźt quelque chose, lequel, n'Ă©tant plus maĂźtre de sa jalousie, ordonna Ă  la princesse sa femme de s'en aller Ă  Champigny. Ce commandement lui fut bien rude; il fallut pourtant obĂ©ir. Elle trouva moyen de dire adieu en particulier au duc de Guise, mais elle se trouva bien embarrassĂ©e Ă  lui donner des moyens sĂ»rs pour lui Ă©crire. Enfin, aprĂšs avoir bien cherchĂ©, elle jeta les yeux sur le comte de Chabanes, qu'elle comptait toujours pour son ami, sans considĂ©rer qu'il Ă©tait son amant. Le duc de Guise, qui savait Ă  quel point ce comte Ă©tait ami du prince de Montpensier, fut Ă©pouvantĂ© qu'elle le choisit pour son confident, mais elle lui rĂ©pondu si bien de sa fidĂ©litĂ©, qu'elle le rassura. Il se sĂ©para d'elle avec toute la douleur que peut causer l'absence d'une personne que l'on aime passionnĂ©ment. Le comte de Chabanes, qui avait toujours Ă©tĂ© malade Ă  Paris pendant le sĂ©jour de la princesse de Montpensier Ă  Blois, sachant qu'elle s'en allait Ă  Champigny, la fut trouver sur le chemin pour s'en aller avec elle. Elle lui fit mille caresses et mille amitiĂ©s et lui tĂ©moigna une impatience extraordinaire de s'entretenir en particulier, dont il fut d'abord charmĂ©. Mais quel fut son Ă©tonnement et sa douleur, quand il trouva que cette impatience n'allait qu'Ă  lui conter qu'elle Ă©tait passionnĂ©ment aimĂ©e du duc de Guise et qu'elle l'aimait de la mĂȘme sorte! Son Ă©tonnement et sa douleur ne lui permirent pas de rĂ©pondre. La princesse, qui Ă©tait pleine de sa passion et qui trouvait un soulagement extrĂȘme Ă  lui en parler, ne prit pas garde Ă  son silence et se mit Ă  lui conter jusques aux plus petites circonstances de son aventure. Elle lui dit comme le duc de Guise et elles Ă©taient convenus de recevoir par son moyen les lettres qu'ils devaient s'Ă©crire, Ce fut le dernier coup pour le comte de Chabanes de voir que sa maĂźtresse voulait qu'il servĂźt son rival et qu'elle lui en faisait la proposition comme d'une chose qui lui devait ĂȘtre agrĂ©able. Il Ă©tait si absolument maĂźtre de lui-mĂȘme, qu'il lui cacha tous ses sentiments. Il lui tĂ©moigna seulement la surprise oĂč il Ă©tait de voir en elle un si grand changement. Il espĂ©ra d'abord que ce changement, qui lui ĂŽtait toutes ses espĂ©rances, lui ĂŽterait aussi toute sa passion, mais il trouva cette princesse si charmante, sa beautĂ© naturelle Ă©tant encore de beaucoup augmentĂ©e par une certaine grĂące que lui avait donnĂ©e l'air de la cour, qu'il sentit qu'il l'aimait plus que jamais. Toutes les confidences qu'elle lui faisait sur la tendresse et sur la dĂ©licatesse de ses sentiments pour le duc de Guise, lui faisaient voir le prix du cƓur de cette princesse et lui donnaient un dĂ©sir de le possĂ©der. Comme sa passion Ă©tait la plus extraordinaire du monde, elle produisit l'effet du monde le plus extraordinaire, car elle le fit rĂ©soudre de porter Ă  sa maĂźtresse les lettres de son rival. L'absence du duc de Guise donnait un chagrin mortel Ă  la princesse de Montpensier; et, n'espĂ©rant de soulagement que par ses lettres, elle tourmentait incessamment le comte de Chabanes pour savoir s'il n'en recevait point et se prenait quasi Ă  lui de n'en avoir pas assez tĂŽt. Enfin, il en reçut par un gentilhomme du duc de Guise et il les lui apporta Ă  l'heure mĂȘme, pour ne lui retarder pas sa joie d'un moment. Celle qu'elle eut de les recevoir fut extrĂȘme. Elle ne prit pas le soin de la lui cacher et lui fit avaler Ă  longs traits tout le poison imaginable en lui lisant ces lettres et la rĂ©ponse tendre et galante qu'elle y faisait. Il porta cette rĂ©ponse au gentilhomme avec la mĂȘme fidĂ©litĂ© avec laquelle il avait rendu la lettre Ă  la princesse, mais avec plus de douleur. Il se consola pourtant un peu dans la pensĂ©e que cette princesse ferait quelque rĂ©flexion sur ce qu'il faisait pour elle et qu'elle lui en tĂ©moignerait de la reconnaissance. La trouvant de jour en jour plus rude pour lui, par le chagrin qu'elle avait d'ailleurs, il prit la libertĂ© de la supplier de penser un peu Ă  ce qu'elle lui faisait souffrir. La princesse, qui n'avait dans la tĂȘte que le duc de Guise et qui ne trouvait que lui seul digne de l'adorer, trouva si mauvais qu'un autre que lui osĂąt penser Ă  elle, qu'elle maltraita bien plus le comte de Chabanes en cette occasion qu'elle n'avait fait la premiĂšre fois qu'il lui avait parlĂ© de son amour. Quoique sa passion, aussi bien que sa patience, fĂ»t extrĂȘme et Ă  toutes Ă©preuves, il quitta la princesse et s'en alla chez un de ses amis, dans le voisinage de Champigny, d'oĂč il lui Ă©crivit avec toute la rage que pouvait causer un si Ă©trange procĂ©dĂ©, mais nĂ©anmoins avec tout le respect qui Ă©tait dĂ» Ă  sa qualitĂ©, et, par sa lettre, il lui disait un Ă©ternel adieu. La princesse commença Ă  se repentir d'avoir si peu mĂ©nagĂ© un homme sur qui elle avait tant de pouvoir; et, ne pouvant se rĂ©soudre Ă  le perdre, non seulement Ă  cause de l'amitiĂ© qu'elle avait pour lui, mais aussi par l'intĂ©rĂȘt de son amour, pour lequel il lui Ă©tait tout Ă  fait nĂ©cessaire, elle lui manda qu'elle voulait absolument lui parler encore une fois et aprĂšs cela; qu'elle le laissait libre de faire ce qu'il lui plairait. L'on est bien faible quand on est amoureux. Le comte revint et, en moins d'une heure, la beautĂ© de la princesse de Montpensier, son esprit et quelques paroles obligeantes le rendirent plus soumis qu'il n'avait jamais Ă©tĂ©, et il lui donna mĂȘme des lettres du duc de Guise qu'il venait de recevoir. Pendant ce temps, l'envie qu'on eut Ă  la cour d'y faire venir les chefs du parti huguenot, pour cet horrible dessein qu'on exĂ©cuta le jour de la S. BarthĂ©lemy, fit que le roi, pour les mieux tromper, Ă©loigna de lui tous les princes de la maison de Bourbon et tous ceux de la maison de Guise. Le prince de Montpensier s'en retourna Ă  Champigny pour achever d'accabler la princesse sa femme par sa prĂ©sence. Le duc de Guise s'en alla Ă  la campagne chez le cardinal de Lorraine, son oncle. L'amour et l'oisivetĂ© mirent dans son esprit un si violent dĂ©sir de voir la princesse de Montpensier, que, sans considĂ©rer ce qu'il hasardait pour elle et pour lui, il feignit un voyage et, laissant tout son train dans une petite ville, il prit avec lui ce seul gentilhomme qui avait dĂ©jĂ  fait plusieurs voyages Ă  Champigny et il s'y en alla en poste. Comme il n'avait point d'autre adresse que celle du comte de Chabanes, il lui fit Ă©crire un billet par ce mĂȘme gentilhomme par lequel ce gentilhomme le priait de le venir trouver en un lieu qu'il lui marquait. Le comte de Chabanes, croyant que c'Ă©tait seulement pour recevoir des lettres du duc de Guise, l'alla trouver, mais il fut extrĂȘmement surpris quand il vit le duc de Guise et il n'en fut pas moins affligĂ©. Ce duc, occupĂ© de son dessein, ne prit non plus garde Ă  l'embarras du comte que la princesse de Montpensier avait fait Ă  son silence lorsqu'elle lui avait contĂ© son amour. Il se mit Ă  lui exagĂ©rer sa passion et Ă  lui faire comprendre qu'il mourrait infailliblement, s'il ne lui faisait obtenir de la princesse la permission de la voir. Le comte de Chabanes lui rĂ©pondit froidement qu'il dirait Ă  cette princesse tout ce qu'il souhaitait qu'il lui dĂźt et qu'il viendrait lui en rendre rĂ©ponse. Il s'en retourna Ă  Champigny, combattu de ses propres sentiments, mais avec une violence qui lui ĂŽtait quelquefois toute sorte de connaissance. Souvent il prenait rĂ©solution de renvoyer le duc de Guise sans le dire Ă  la princesse de Montpensier, mais la fidĂ©litĂ© exacte qu'il lui avait promise, changeait aussitĂŽt sa rĂ©solution. Il arriva auprĂšs d'elle sans savoir ce qu'il devait faire; et, apprenant que le prince de Montpensier Ă©tait Ă  la chasse, il alla droit Ă  l'appartement de la princesse qui, le voyant troublĂ©, fit retirer aussitĂŽt ses femmes pour savoir le sujet de ce trouble. Il lui dit, en se modĂ©rant le plus qu' lui fut possible, que le duc de Guise Ă©tait Ă  une lieue de Champigny et qu'il souhaitait passionnĂ©ment de la voir. La princesse fit un grand cri Ă  cette nouvelle, et son embarras ne fut guĂšre moindre que celui du comte. Son amour lui prĂ©senta d'abord la joie qu'elle aurait de voir un homme qu'elle aimait si tendrement. Mais, quand elle pensa combien cette action Ă©tait contraire Ă  sa vertu et qu'elle ne pouvait voir son amant qu'en le faisant entrer la nuit chez elle Ă  l'insu de son mari, elle se trouva dans une extrĂ©mitĂ© Ă©pouvantable. Le comte de Chabanes attendait sa rĂ©ponse comme une chose qui allait dĂ©cider de sa vie ou de sa mort. Jugeant de l'incertitude de la princesse par son silence, il prit la parole pour lui reprĂ©senter tous les pĂ©rils oĂč elle s'exposerait par cette entrevue. Et, voulant lui faire voir qu'il ne lui tenait pas ce discours pour ses intĂ©rĂȘts, il lui dit:

- Si aprĂšs tout ce que je viens de vous reprĂ©senter, Madame, votre passion est la plus forte et que vous dĂ©siriez voir le duc de Guise, que ma considĂ©ration ne vous en empĂȘche point, si celle de votre intĂ©rĂȘt ne le fait pas. Je ne veux point priver d'une si grande satisfaction une personne que j'adore, ni ĂȘtre cause qu'elle cherche des personnes moins fidĂšles que moi pour se la procurer. Oui, madame, si vous le voulez, j'irai quĂ©rir le duc de Guise dĂšs ce soir; car il est trop pĂ©rilleux de le laisser plus longtemps oĂč il est, et je l'amĂšnerai dans votre appartement.

- Mais par oĂč et comment? interrompit la princesse.

- Ah! Madame, s'écria le comte, c'en est fait, puisque vous ne délibérez plus que sur les moyens. Il viendra, madame, ce bienheureux amant. Je l'amÚnerai par le parc; donnez ordre seulement à celle de vos femmes à qui vous vous fiez le plus, qu'elle baisse, précisément à minuit, le petit pont-levis qui donne de votre antichambre dans le parterre, et ne vous inquiétez pas du reste.

En achevant ces paroles, il se leva; et, sans attendre d'autre consentement de la princesse de Montpensier, il remonta Ă  cheval et vint trouver le duc de Guise qui l'attendait avec une impatience extrĂȘme. La princesse de Montpensier demeura si troublĂ©e, qu'elle fut quelque temps sans revenir Ă  elle. Son premier mouvement fut de faire rappeler le comte de Chabanes pour lui dĂ©fendre d'amener le duc de Guise, mais elle n'en eut pas la force. Elle pensa que, sans le rappeler, elle n'avait qu'Ă  ne point faire abaisser le pont. Elle crut qu'elle continuerait dans cette rĂ©solution. Quand l'heure de l'assignation approcha, elle ne put rĂ©sister davantage Ă  l'envie de voir un amant qu'elle croyait si digne d'elle, et elle instruisit une de ses femmes de tout ce qu'il fallait faire pour introduire le duc de Guise dans son appartement. Cependant, et ce duc, et le comte de Chabanes, approchaient de Champigny, mais dans un Ă©tat bien diffĂ©rent. Le duc abandonnait son Ăąme Ă  la joie et Ă  tout ce que l'espĂ©rance inspire de plus agrĂ©able, et le comte s'abandonnait Ă  un dĂ©sespoir et Ă  une rage qui le poussĂšrent mille fois Ă  donner de son Ă©pĂ©e au travers du corps de son rival. Enfin ils arrivĂšrent au parc de Champigny, oĂč ils laissĂšrent leurs chevaux Ă  l'Ă©cuyer du duc de Guise, et, passant par des brĂšches qui Ă©taient aux murailles, ils vinrent dans le parterre. Le comte de Chabanes, au milieu de son dĂ©sespoir, avait toujours quelque espĂ©rance que la raison reviendrait Ă  la princesse de Montpensier et qu'elle prendrait enfin la rĂ©solution de ne point voir le duc de Guise. Quand il vit ce petit pont abaissĂ©, ce fut alors qu'il ne put douter du contraire, et ce fut aussi alors qu'il fut tout prĂȘt Ă  se porter aux derniĂšres extrĂ©mitĂ©s. Mais, venant Ă  penser que, s'il faisait du bruit, il serait ouĂŻ apparemment du prince de Montpensier, dont l'appartement donnait sur le mĂȘme parterre, et que tout ce dĂ©sordre tomberait ensuite sur la personne qu'il aimait le plus, sa rage se calma Ă  l'heure mĂȘme, et il acheva de conduire le duc de Guise aux pieds de sa princesse. Il ne put se rĂ©soudre Ă  ĂȘtre tĂ©moin de leur conversation, quoique la princesse lui tĂ©moignĂąt le souhaiter, et qu'il l'eĂ»t bien souhaitĂ© lui-mĂȘme. Il se retira dans un petit passage qui Ă©tait du cĂŽtĂ© de l'appartement du prince de Montpensier, ayant dans l'esprit les plus tristes pensĂ©es qui aient jamais occupĂ© l'esprit d'un amant. Cependant, quelque peu de bruit qu'ils eussent fait en passant sur le pont, le prince de Montpensier qui, par malheur, Ă©tait Ă©veillĂ© dans ce moment l'entendit et fit lever un de ses valets de chambre pour voir ce que c'Ă©tait. Le valet de chambre mit la tĂȘte Ă  la fenĂȘtre et, au travers de l'obscuritĂ© de la nuit, il aperçut que le pont Ă©tait abaissĂ©. Il en avertit son maĂźtre qui lui commanda en mĂȘme temps d'aller dans le parc voir ce que ce pouvait ĂȘtre. Un moment aprĂšs, il se leva lui-mĂȘme, Ă©tant inquiĂ©tĂ© de ce qu'il lui semblait avoir ouĂŻ marcher quelqu'un, et il s'en vint droit Ă  l'appartement de la princesse, sa femme, qui rĂ©pondait sur le pont. Dans le moment qu'il approchait de ce petit passage oĂč Ă©tait le comte de Chabanes, la princesse de Montpensier, qui avait quelque honte de se trouver seule avec le duc de Guise, pria plusieurs fois le comte d'entrer dans sa chambre. Il s'en excusa toujours et, comme elle l'en pressait davantage, possĂ©dĂ© de rage et de fureur, il lui rĂ©pondit si haut, qu'il fut ouĂŻ du prince de Montpensier, mais si confusĂ©ment que ce prince entendit seulement la voix d'un homme, sans distinguer celle du comte. Une pareille aventure eĂ»t donnĂ© de l'emportement Ă  un esprit, et plus tranquille, et moins jaloux. Aussi mit-elle d'abord l'excĂšs de la rage et de la fureur, dans celui du prince. Il heurta aussitĂŽt Ă  la porte avec impĂ©tuositĂ© et, criant pour se faire ouvrir il donna la plus cruelle surprise du monde Ă  la princesse, au duc de Guise et au comtĂ© de Chabanes. [Ce] dernier, entendant la voix du prince, comprit d'abord qu'il Ă©tait impossible de l'empĂȘcher de croire qu'il n'y eĂ»t quelqu'un dans la chambre de la princesse sa femme et, la grandeur de sa passion lui montrant en ce moment que, s'il y trouvait le duc de Guise, Mme de Montpensier aurait la douleur de le voir tuer Ă  ses yeux et que la vie mĂȘme de cette princesse ne serait pas en sĂ»retĂ©, il se rĂ©solut, par une gĂ©nĂ©rositĂ© sans exemple, de s'exposer pour sauver une maĂźtresse ingrate et un rival aimĂ©. Pendant que le prince de Montpensier donnait mille coups Ă  la porte, il vint au duc de Guise, qui ne savait quelle rĂ©solution prendre, et il le mit entre les mains de cette femme de Mme de Montpensier qui l'avait fait entrer par le pont, pour le faire sortir par le mĂȘme lieu, pendant qu'il s'exposerait Ă  la fureur du prince. A peine le duc Ă©tait hors l'antichambre que le prince, ayant enfoncĂ© la porte du passage, entra dans la chambre comme un homme possĂ©dĂ© de fureur et qui cherchait sur qui la faire Ă©clater. Mais quand il ne vit que le comte de Chabanes, et qu'il le vit immobile, appuyĂ© sur la table, avec un visage oĂč la tristesse Ă©tait peinte, il demeura immobile lui-mĂȘme et la surprise de trouver, et seul, et la nuit, dans la chambre de sa femme l'homme du monde qu'il aimait le mieux, le mit hors d'Ă©tat de pouvoir parler. La princesse Ă©tait Ă  demi Ă©vanouie sur des carreaux et jamais peut-ĂȘtre la fortune n'a mis trois personnes en des Ă©tats si pitoyables. Enfin le prince de Montpensier, qui ne croyait pas voir ce qu'il voyait, et qui voulait dĂ©mĂȘler ce chaos oĂč il venait de tomber, adressant la parole au comte, d'un ton qui faisait voir qu'il avait encore de l'amitiĂ© pour lui:

- Que vois-je? lui dit-il. Est-ce une illusion ou une vĂ©ritĂ©? Est-il possible qu'un homme que j'ai aimĂ© si chĂšrement choisisse ma femme entre toutes les autres femmes pour la sĂ©duire? Et vous, Madame, dit-il Ă  la princesse en se tournant de son cĂŽtĂ©, n'Ă©tait-ce point assez de m'ĂŽter votre cƓur et mon honneur, sans m'ĂŽter le seul homme qui me pouvait consoler de ces malheurs? RĂ©pondez-moi l'un ou l'autre, leur dit-il, et Ă©claircissez-moi d'une aventure que je ne puis croire telle qu'elle me paraĂźt.

La princesse n'était pas capable de répondre et le comte de Chabanes ouvrit plusieurs fois la bouche sans pouvoir parler:

- Je suis criminel Ă  votre Ă©gard, lui dit-il enfin, et indigne de l'amitiĂ© que vous avez eue pour moi, mais ce n'est pas la maniĂšre que vous pouvez vous l'imaginer. Je suis plus malheureux que vous et plus dĂ©sespĂ©rĂ©. Je ne saurais vous en dire davantage. Ma mort vous vengera et, si vous voulez me la donner tout Ă  l'heure, vous me donnerez la seule chose qui peut m'ĂȘtre agrĂ©able.

Ces paroles, prononcées avec une douleur mortelle et avec un air qui marquait son innocence, au lieu d'éclaircir le prince de Montpensier, lui persuadaient de plus en plus qu'il y avait quelque mystÚre dans cette aventure, qu'il ne pouvait deviner, et, son désespoir s'augmentant par cette incertitude:

- Otez-moi la vie vous-mĂȘme, lui dit-il, ou donnez-moi l'Ă©claircissement de vos paroles; je n'y comprends rien. Vous devez cet Ă©claircissement Ă  mon amitiĂ©. Vous le devez Ă  ma modĂ©ration, car tout autre que moi aurait dĂ©jĂ  vengĂ© sur votre vie un affront si sensible.

- Les apparences sont bien fausses, interrompit le comte.

- Ah! c'est trop, répliqua le prince; il faut que je me venge et puis je m'éclaircirai à loisir.

En disant ces paroles, il s'approcha du comte de Chabanes avec l'action d'un homme emportĂ© de rage. La princesse, craignant quelque malheur (ce qui ne pouvait pourtant pas arriver, son mari n'ayant point d'Ă©pĂ©e), se leva pour se mettre entre-deux. La faiblesse oĂč elle Ă©tait la fit succomber Ă  cet effort et, comme elle approchait de son mari, elle tomba Ă©vanouie Ă  ses pieds. Le prince fut encore plus touchĂ© de cet Ă©vanouissement qu'il n'avait Ă©tĂ© de la tranquillitĂ© oĂč il avait trouvĂ© le comte lorsqu'il s'Ă©tait approchĂ© de lui; et, ne pouvant plus soutenir la vue de deux personnes qui lui donnaient des mouvements si tristes, il tourna la tĂȘte de l'autre cĂŽtĂ© et se laissa tomber sur le lit de sa femme, accablĂ© d'une douleur incroyable. Le comte de Chabanes, pĂ©nĂ©trĂ© de repentir d'avoir abusĂ© d'une amitiĂ© dont il recevait tant de marques et ne trouvant pas qu'il pĂ»t jamais rĂ©parer ce qu'il venait de faire, sortit brusquement de la chambre et, passant par l'appartement du prince dont il trouva les portes ouvertes, il descendit dans la cour. Il se fit donner des chevaux et s'en alla dans la campagne, guidĂ© par son seul dĂ©sespoir. Cependant le prince de Montpensier, qui voyait que la princesse ne revenait point de son Ă©vanouissement, la laissa entre les mains de ses femmes et se retira dans sa chambre avec une douleur mortelle. Le duc de Guise, qui Ă©tait sorti heureusement du parc, sans savoir quasi ce qu'il faisait tant il Ă©tait troublĂ©, s'Ă©loigna de Champigny de quelques lieues, mais il ne put s'Ă©loigner davantage sans savoir des nouvelles de la princesse. Il s'arrĂȘta dans une forĂȘt et envoya son Ă©cuyer pour apprendre du comte de Chabanes ce qui Ă©tait arrivĂ© de cette terrible aventure. L'Ă©cuyer ne trouva point le comte de Chabanes, mais il apprit d'autres personnes que la princesse de Montpensier Ă©tait extraordinairement malade. L'inquiĂ©tude du duc de Guise fut augmentĂ©e par ce que lui dit son Ă©cuyer et, sans la pouvoir soulager, il fut contraint de s'en retourner trouver ses oncles pour ne pas donner de soupçon par un plus long voyage. L'Ă©cuyer du duc de Guise lui avait rapportĂ© la vĂ©ritĂ©, en lui disant que Mme de Montpensier Ă©tait extrĂȘmement, malade, car il Ă©tait vrai que, sitĂŽt que les femmes l'eurent mise dans son lit, la fiĂšvre lui prit si violemment et avec des rĂȘveries si horribles que, dĂšs le second jour, l'on craignit pour sa vie. Le prince feignit d'ĂȘtre malade, afin qu'on ne s'Ă©tonnĂąt de ce qu'il n'entrait pas dans la chambre de sa femme. L'ordre qu'il reçut de s'en retourner Ă  la cour, oĂč l'on rappelait tous les princes catholiques pour exterminer les huguenots, le tira de l'embarras oĂč il Ă©tait. Il s'en alla Ă  Paris, en sachant ce qu'il avait Ă  espĂ©rer ou Ă  craindre du mal de la princesse sa femme. Il n'y fut pas sitĂŽt arrivĂ© qu'on commença d'attaquer les huguenots en la personne d'un de leurs chefs, l'amiral de ChĂątillon et, deux jours aprĂšs, l'on fit cet horrible massacre, si renommĂ© par toute l'Europe. Le pauvre comte de Chabanes, qui s'Ă©tait venu cacher dans l'extrĂ©mitĂ© de l'un des faubourgs de Paris pour s'abandonner entiĂšrement Ă  sa douleur, fut enveloppĂ© dans la mine des huguenots. Les personnes chez qui il s'Ă©tait retirĂ©, l'ayant reconnu et s'Ă©tant souvenues qu'on l'avait soupçonnĂ© d'ĂȘtre de ce parti, le massacrĂšrent cette mĂȘme nuit qui fut si funeste Ă  tant de gens. Le matin, le prince de Montpensier, allant donner quelques ordres hors la ville, passa dans la rue oĂč Ă©tait le corps de Chabanes. Il fut d'abord saisi d'Ă©tonnement Ă  ce pitoyable spectacle; ensuite son amitiĂ© se rĂ©veillant, elle lui donna de la douleur, mais le souvenir de l'offense qu'il croyait avoir reçue du comte lui donna enfin de la joie, et il fut bien aise de se voir vengĂ© par les mains de la fortune. Le duc de Guise, occupĂ© du dĂ©sir de venger la mort de son pĂšre et, peu aprĂšs, rempli de la joie de l'avoir vengĂ©e, laissa peu Ă  peu Ă©loigner de son Ăąme le soin d'apprendre des nouvelles de la princesse de Montpensier, et, trouvant la marquise de Noirmoutier, personne de beaucoup d'esprit et de beautĂ©, et qui donnait plus d'espĂ©rance que cette princesse, il s'y attacha entiĂšrement et l'aima avec une passion dĂ©mesurĂ©e et qui lui dura jusques Ă  la mort. Cependant, aprĂšs que le mal de Mme de Montpensier fut venu au dernier point, il commença Ă  diminuer. La raison lui revint et, se trouvant un peu soulagĂ© par l'absence du prince son mari, elle donna quelque espĂ©rance de sa vie. Sa santĂ© revenait pourtant avec grande peine, par le mauvais Ă©tat de son esprit; et son esprit fut travaillĂ© de nouveau, quand elle se souvint qu'elle n'avait eu aucune nouvelle du duc de Guise pendant toute sa maladie. Elle s'enquit de ses femmes si elles n'avaient vu personne, si elles n'avaient point de lettres, et, ne trouvant rien de ce qu'elle eĂ»t souhaitĂ©, elle se trouva la plus malheureuse du monde d'avoir tout hasardĂ© pour un homme qui l'abandonnait. Ce lui fut encore un nouvel accablement d'apprendre la mort du comte de Chabanes, qu'elle sut bientĂŽt par les soins du prince son mari. L'ingratitude du duc de Guise lui fit sentir plus vivement la perte d'un homme dont elle connaissait si bien la fidĂ©litĂ©. Tant de dĂ©plaisirs si pressants la remirent bientĂŽt dans un Ă©tat aussi dangereux que celui dont elle Ă©tait sortie. Et, comme Mme de Noirmoutier Ă©tait une personne qui prenait autant de soin de faire Ă©clater ses galanteries que les autres en prennent de les cacher, celles de M. de Guise et d'elle Ă©taient si publiques que, tout Ă©loignĂ©e et toute malade qu'Ă©tait la princesse de Montpensier, elle les apprit de tant de cĂŽtĂ©s qu'elle n'en put douter. Ce fut le coup mortel pour sa vie. Elle ne put rĂ©sister Ă  la douleur d'avoir perdu l'estime de son mari, le cƓur de son amant et le plus parfait ami qui fut jamais. Elle mourut en peu de jours, dans la fleur de son Ăąge, une des plus belles princesses du monde, et qui aurait Ă©tĂ© sans doute la plus heureuse, si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions.

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