E. T. A. Hoffmann (1776-1822)
"Non loin du rivage de la mer Baltique, se trouve le chĂąteau hĂ©rĂ©ditaire de la famille de R..., nommĂ© R....bourg. La contrĂ©e est sauvage et dĂ©serte. ĂĂ et lĂ , quelques brins de gazon percent avec peine le sol formĂ© de sable mouvant. Au lieu du parc qui embellit dâordinaire les alentours dâune habitation seigneuriale, sâĂ©lĂšve, au-dessous des murailles nues, un misĂ©rable bois de pins dont lâĂ©ternelle couleur sombre semble mĂ©priser la parure du printemps, et dans lequel les joyeux gazouillements des oiseaux sont remplacĂ©s par lâaffreux croassement des corbeaux et les sifflements des mouettes dont le vol annonce lâorage.
Ă un demi-mille de ce lieu, la nature change tout Ă coup dâaspect. On se trouve transportĂ©, comme par un coup de baguette magique, au milieu de plaines fleuries, de champs et de prairies Ă©maillĂ©s. Ă lâextrĂ©mitĂ© dâun gracieux bouquet dâaulnes, on aperçoit les fondations dâun grand chĂąteau quâun des anciens propriĂ©taires de R....bourg avait dessein dâĂ©lever. Ses successeurs, retirĂ©s dans leurs domaines de Courlande, le laissĂšrent inachevĂ© ; et le baron Roderich de R..., qui revint Ă©tablir sa rĂ©sidence dans le chĂąteau de ses pĂšres, prĂ©fĂ©ra, dans son humeur triste et sombre, cette demeure gothique et isolĂ©e Ă une habitation plus Ă©lĂ©gante.
Il fit rĂ©parer le vieux chĂąteau ruinĂ© aussi bien quâon le put, et sây renferma avec un intendant grondeur et un petit nombre de domestiques. On le voyait rarement dans le village ; en revanche, il allait souvent se promener Ă pied ou Ă cheval sur le rivage de la mer, et lâon prĂ©tendait avoir remarquĂ© de loin quâil parlait aux vagues et quâil Ă©coutait le mugissement des flots comme sâil eĂ»t entendu la voix de lâesprit des mers."
Recueil de 8 contes :
"Le majorat" - "Le Sanctus" - "Salvator Rosa" - "La vie d'artiste" - "La leçon de violon" - "Le violon de Crémone" - "Marino Falieri" - "Le bonheur au jeu".