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Les seigneurs loups

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Delly (1875-1947) (1876-1949)

"En serrant autour d’elle la grande cape noire dont le capuchon couvrait sa tĂȘte, Oriane passait comme un lĂ©ger fantĂŽme sombre dans la somptueuse blancheur de la forĂȘt encore parĂ©e de ses neiges. Elle marchait aussi vite que le lui permettaient les sentiers glissants, car la nuit Ă©tait proche maintenant. Sa grand-tante allait s’inquiĂ©ter, et aussi Claude, le vieux serviteur fidĂšle. Mais son goĂ»t pour la solitude majestueuse de la forĂȘt l’avait dominĂ©e, une fois de plus. Elle y avait cherchĂ©, pour quelques instants, l’oubli du passĂ© douloureux et celui de l’inquiĂ©tant prĂ©sent. Car l’annĂ©e 1793 allait finir, et elle avait Ă©tĂ© marquĂ©e Ă  son dĂ©but, pour les Cormessan, par l’expulsion hors de leur chĂąteau de Pierre-Vive, vendu comme bien national Ă  un marchand de chevaux du pays, Paulin Plagel. Ils s’étaient rĂ©fugiĂ©s dans une maison de garde que leur louait ledit Plagel, satisfait de les avoir dĂ©logĂ©s pour se mettre Ă  leur place. Auparavant, ils n’étaient pas trĂšs riches. Maintenant, c’était la pauvretĂ©, le continuel souci du lendemain. Et d’autres angoisses encore, d’autres douleurs pesaient sur l’ñme d’Oriane, sur celle de Mlle Élisabeth, sa tante, mortellement atteinte dans sa santĂ©.

À travers le grand silence de la forĂȘt neigeuse, l’appel d’une voix masculine retentit tout Ă  coup :

– Mademoiselle Oriane !

– Me voilà, Claude !

Quelques instants plus tard, la jeune fille et le vieillard se rencontraient. Claude dit sur un ton grondeur :

– Vous serez donc toujours la mĂȘme, Mademoiselle ? Si la pauvre demoiselle ne s’était pas endormie, elle aurait encore Ă©tĂ© bien inquiĂšte. Pensez donc, avec tous ces vilaines gens d’aujourd’hui ! "

1793. Oriane et son jeune frÚre Aimery sont obligés de quitter la France pour se réfugier auprÚs d'une cousine en Autriche. Ils font la connaissance des Faldensten qui rÚgnent en despote sur leurs terres. Les comtes de Faldensten sont appelés les seigneurs loups. Aussi redoutable et cruel que son pÚre, Guido, l'héritier, décide qu'Oriane sera son épouse...