C'est une maison petite et laide. Pourtant en y entrant, Clémence n'a vu que le jardin, sa profusion minuscule, un mouchoir de poche grand comme le monde. Au fond, un bassin de pierre, dans lequel nagent quatre poissons rouges et demi.
Quatre et demi, parce que le cinquième est à moitié mangé. Boursouflé, abîmé, meurtri : mais guéri. Clémence l'a regardé un long moment.
C'est un jardin où même mutilé, on peut vivre.
Clémence s'y est installée. Elle a tout abandonné derrière elle en espérant ne pas laisser de traces. Elle voudrait dresser un mur invisible entre elle et celui qu'elle a quitté, celui auquel elle échappe. Mais il est là tout le temps. Thomas. Et ses orages.
Clémence n'est pas partie, elle s'est enfuie.
Avec Ces orages-là, Sandrine Collette se fait la voix de l'intime et nous offre un roman brut somptueux sur les ravages de l'obsession, servi par cette écriture au cordeau qui la distingue.
Aude
04/08/2024
Sandrine Collette est certainement l’auteur qui, par la force de son écriture, me fait ressentir le plus d’émotions, souvent contradictoires, puisqu’elle n’évolue pas dans un monde manichéen. Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. À moi, elle apprend le sens des nuances, la faculté d’appréhender les choses sous des angles différents en pondérant les émotions en fonction du vécu. « Les larmes noires sur la terre » est sans doute le roman qui m’a permis d’apprécier et de comprendre l’écriture de Sandrine ; la façon qu’elle a de vous tirailler, de déclencher la compassion sans verser dans le pathos, de plonger tête baissée dans son univers. Dans « Juste après la vague » paru en 2018, elle aborde une thématique singulière : l’incident climatique qui jaillira sur le destin de toute une famille et bouleversera à jamais son équilibre. Idée qu’elle poursuit en 2020 avec « Et toujours les forêts » où le monde brûle et s’écroule autour de Corentin. Place à la fin du monde, à la nécessité de survivre et à la solitude qui emprisonne l’âme de son personnage principal. Dans « Ces orages-là », Clémence, héroïne du roman est en exil volontaire. Elle a choisi l’éloignement pour survivre, la quarantaine impérative, l’autoréclusion indispensable. Elle se cache, plus qu’elle ne vit en trouvant asile dans une petite maison fissurée… comme elle… une maison à son image, des murs qui tiennent on se sait comment, et dont le jardin sauvage est indompté. Le lieu où atterrit Clémence est à son image : instable et bancal. Car Clémence a fui, avec l’énergie du désespoir, son compagnon Thomas et par là, s’est soustraite à une relation sous emprise protéiforme. « la sensation dérangeante d’être en danger en même temps qu’à la bonne place, exactement. » Chez Sandrine Collette, je vous le disais plus haut, les choses ne sont jamais toutes blanches ou toutes noires, et c’est au gré des pages que le lecteur s’infiltre dans le labyrinthe des émotions de Clémence : partir, rester, revenir, fuir, et qu’avec elle, il chemine vers la reconstruction de son âme, la mise en ordre de son jardin secret, le colmatage des parois internes démolies. Il suit surtout ses déambulations psychologiques, ses velléités de faire marche arrière, son cheminement personnel qui la fait passer de l’état de victime à l’état de rescapée, ses incertitudes, ses peurs, les étapes de son deuil personnel : le déni parfois, la colère dans la narration de son passé, la dépression accompagnée de la tristesse inhérente à la décision prise, l’acceptation du bien-fondé de son choix. Au rythme de la vie qui renaît, de nouveaux personnages qui croisent sa route, d’autres émotions naissent, d’autres étapes sont franchies, d’autres idées germent. Tout doucement, la torpeur s’en va, les effets d’une longue anesthésie s’estompent, les muscles se remettent à fonctionner et avec eux les idées. Sandrine Collette démontre ici sa finesse dans l’approche psychologique de Clémence, mais pas seulement. Un autre personnage arrive à pas feutrés pour prendre une place énorme et contribuer, de façon bien involontaire, à une quête. Car rien n’est laissé au hasard. La vie est remplie de hasards qui se télescopent, de planètes qui s’alignent, d’opportunités qui se créent. À titre d’exemple, j’évoquerais simplement le choix des prénoms qui est tout sauf anodin. Le prénom Clémence vient du latin qui veut dire douceur et indulgence. Elle était en couple avec Thomas, qui en araméen veut dire jumeau. Ceci explique sans doute l’intensité de leur relation…La meilleure amie de Clémence s’appelle Manon, prénom dérivé de Myriam en hébreu, la voyante, celle capable de prédire les destinées. Le voisin, qui devient un personnage clé porte le prénom d’un ange, Gabriel. Il est le messager de dieu, un prénom dont la contraction est force et Dieu, celui qui affirme « Je suis certain que je peux vous aider. » Gabriel sait « (…) elle est au bout. À bout. En miettes. Elle a beau ramasser les morceaux, donner l’illusion, il la voit comme un vitrage feuilleté qu’on aurait essayé de briser : debout — avec mille fissures en étoiles à l’intérieur. » « Ces orages-là » est un roman noir très psychologique dont l’approche spirituelle, la quête de soi se fait toute en finesse, exercice de haute voltige parfaitement maîtrisé. On se laisse embarquer sur un chemin, totalement happés par ce qui est écrit, ce qui est suggéré et ce qui se lit entre les lignes, plus important encore que ce qui est vraiment énoncé. L’utilisation des traits d’union suggère plus qu’il ne dit véritablement, mais c’est cet effet de style qui donne au récit une force impressionnante. La virtuosité de son maniement permet, dans une même phrase, d’expliciter la complexité et l’ambiguïté des émotions, tout et son inverse, le moral et l’amoral. Il est beaucoup question de pardon dans ce texte. Le pardon est-il un cadeau que l’on se fait à soi-même ou un cadeau que l’on « offre » à l’autre ? « Quand vous serez grande et forte, alors, vous pourrez pardonner. Quand on peut pardonner, on peut guérir. (…) En vérité tout son être se braque en silence. En elle, il n’y a pas de pardon, il y a la colère. Devenir grande et forte, dans la tête de Clémence, ce n’est pas fait pour pardonner : c’est pour cogner. C’est pour gagner. Et pardonner ah là là, excusez-moi, mais — ce n’est pas gagner, car c’est se soumettre à l’humiliation qui ne s’arrête pas, consentir à sa propre faiblesse, c’est se laisser pisser dessus. » À travers la quête de sérénité de Clémence, ses doutes, ses trois pas en avant et ses deux pas en arrière, Sandrine Collette évoque avec brio le vécu d’une victime, mais aussi les reproches qu’elle peut se faire, l’ambivalence de ses émotions, ses doutes, la distanciation à laquelle elle doit parvenir en faisant fi de ses émotions, les mensonges qu’elle s’invente mis en parallèle avec les réalités bien factuelles. Ce poison qui dévore les entrailles de Clémence, oscillant entre l’oubli et la colère, la volonté d’avancer, mais aussi sa fièvre passagère de haine est le symbole de toute victime qui doit se placer en face d’elle-même pour guérir. « Maintenant, il est à la fois sa hantise et la seule chose vivant en elle, quand tout le reste est anesthésié. » Ressentir, même si c’est de la haine et de la colère, du ressentiment, c’est être encore un peu vivant, ne pas être tout à fait mort, respirer encore un peu… « Ces orages-là » risque de surprendre le lectorat fidèle de Sandrine Collette. C’est un texte à part, avec un dénouement à part auquel elle ne nous avait pas habitués. Elle démontre jusqu’où peut aller l’instinct de survie par le truchement d’étapes ou de paroles inexorables, comment il devient viscéral de prendre un chemin plutôt qu’un autre, à quel point les blessures ancrées au plus profond de la chair peuvent prendre toute la place. La relation Clémence-Gabriel, porteuse d’espoirs, car fondée sur l’honnêteté et la vérité de l’Autre peut évoluer très différemment de ce que le lecteur s’était imaginé, car sous la plume de Sandrine les démons rôdent parfois, les instincts se réveillent, et les destins s’accomplissent. Le roman refermé, il reste le cheminement intérieur de Clémence, un choix, une démarche intime, une conception personnelle de la liberté. Encore une fois, l’émotion a été au rendez-vous, portée par cette plume inimitable et singulière, précise et acérée. Et toujours cette appréhension que le pire déambule en attendant sa proie…
Anne-Laure
29/09/2023
Un roman percutant et plein de poésie pour aborder la violence psychologique et l'emprise sous la sphère conjugale. Le personnage principal de Clémence nous embarque avec beaucoup de pudeur et d'émotions dans son parcours de résilience. Le texte est magnifiquement écrit et la voix de cette version audio est parfaitement dans le ton du récit. Un coup de coeur !
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