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Eglantine

Livre numérique


Jean Giraudoux (1882-1944)

"Fontranges s’éveilla.

Il hésita à se croire éveillé ; le bon sommeil des Fontranges était légendaire. Leur château restait sans doute la seule demeure en France où le service du maître endormi fût aussi minutieux que le service du maître levé. Dans les maisons voisines dont ils étaient les hôtes, ils redonnaient son poids à l’ombre, ils en rétablissaient le domaine et jusqu’à l’acoustique ; il y avait à nouveau aux cuisines et aux écuries, eux présents, un bruit du soir, un bruit de l’aube et les domestiques n’y réservaient plus pour l’après-midi les occupations à peu près silencieuses, plumage des poulets, roulage du gazon, ou ce ratissage du sable dans la cour qui gratte si doucement la terre à son réveil, et le cœur... Quand ils quittaient leurs amis, ils avaient repeint de noir la nuit, et le père de Fontranges lui-même, qu’on s’accordait à juger aussi dur qu’égoïste, laissait derrière lui des esprits reposés, des joues fraîches, tous les bienfaits du sommeil. Une insomnie leur causait le trouble que leur aurait donné, pendant le jour, un évanouissement. Une fois qu’ils avaient ouvert les yeux dans la nuit, ils ne pouvaient d’eux-mêmes les fermer ; il aurait fallu une main étrangère pour rabaisser leurs paupières, comme celles d’un mort. C’était au cours de ses quatre insomnies que le père de Fontranges, en apparence robuste jusqu’à sa dernière minute, avait saisi les seuls appels de ce foie, insensible et calme de jour, par lequel il devait mourir, d’une mort d’ailleurs somnolente. Il semblait que les Fontranges, à cause justement de cet avide sommeil, fussent usés d’abord par leur côté nocturne."

Eglantine aiment les hommes mûrs. Elle hésite entre Fontranges l'aristocrate et Moïse le banquier, deux hommes diamétralement opposés. L'un lui a donné son sang et l'autre est prêt à la couvrir de pierres précieuses. Suivra-t-elle son coeur ou sa raison ?