Au milieu du 19e siècle, deux protestants suisses offraient chacun au monde francophone une nouvelle traduction biblique. Le premier, Auguste Perret-Gentil, pasteur neuchâtelois, avait traduit l'Ancien Testament d'après l'hébreu ; le second, Albert Rilliet, historien de la Réformation, après un labeur considérable de comparaison critique, donnait un Nouveau Testament traduit sur le manuscrit grec dit Vaticanus.
Si aujourd'hui ces deux ouvrages ne sont plus depuis longtemps réédités, ils n'en ont pas moins exercé une certaine influence sur les traductions subséquentes. Leur nouveauté la plus remarquée, et aussi la plus contestée, consistait dans l'éloignement qu'elles osaient prendre avec la version Ostervald, depuis longtemps traditionnelle chez les protestants. Celle de l'Ancien Testament, semblait se rapprocher de la version allemande de De Wette, tandis que celle du Nouveau rompait résolument avec le texte reçu.
Mais au fond, pourquoi s'y intéresser, n'existe-t-il pas suffisamment de traductions françaises disponibles sans aller s'encombrer d'autres versions écrites dans un français vieux de deux siècles ?
Tout d'abord, la remarque concernant l'ancienneté du français est absolument sans valeur. Car la richesse d'une langue ne consiste pas dans la diminution de son vocabulaire ou de ses tournures mais au contraire dans leur accroissement. Et un lecteur qui se découragerait devant l'effort de comprendre sa propre langue à seulement deux siècles de distance, ne sera certainement pas à même de lire de l'hébreu et du grec beaucoup plus anciens.
Ensuite une traduction peut être belle en elle-même, lorsqu'elle manifeste le génie de sa langue tout en respectant le sens de l'original. C'est sans doute la principale raison pour laquelle les anglais sont si attachés à leur King James. Chacune de nos deux traductions possède sa beauté propre, sa saveur particulière. L'Ancien Testament de Perret-Gentil, qualifié par certains de lourd, de teuton, par l'originalité et la bizarrerie même de ses tournures, dégage un parfum d'antiquité véritablement biblique. La fluidité du Nouveau Testament de Rilliet exerce pour sa part un charme qu'on qualifierait volontiers d'attique, chez cet helléniste renommé, ne serait-ce le beau français dans lequel il écrit.
Plus pertinente serait la question de l'exactitude de ces versions. Il est certain que comme dans toute discipline, le progrès est un fruit attendu du temps et des efforts consacrés, les traductions modernes sont épurées des erreurs remarquées dans les anciennes. Cependant, lorsqu'il s'agit de traductions, c'est dans la multiplicité qu'il faut espérer se rapprocher de l'idéal, de l'impression produite par le texte original. Dans sa préface au Nouveau Testament, (que devrait lire tout inconditionnel du Texte Reçu), Albert Rilliet exprime magistralement cette pensée :
« Nous n'aspirons point à devenir l'auteur d'une Vulgate privilégiée, et nous regardons comme un grand avantage, pour les Églises de notre langue, d'avoir en ceci préféré la liberté au monopole. L'inégalité nécessaire qui existe entre le texte original et les traductions est jusques à un certain point compensée par la multiplicité de celles-ci. Cette multiplicité empêche qu'on accorde à la lettre plus d'importance qu'à l'esprit ; elle apprend à rechercher, sous la diversité des formes, l'immuable identité du fond ; en changeant la contexture du langage elle renouvelle les idées ; en provoquant les comparaisons elle prévient cette somnolence religieuse qui naît souvent de l'uniforme répétition des mêmes mots, et elle éveille la pensée en brisant les habitudes d'une lecture routinière. Cependant elle n'altère ni le dessin ni la couleur générale de l'Évangile ; elle les place seulement dans des jours différents qui en font mieux juger les nuances et les contours accessoires. Elle réalise en un mot cette variété dans l'unité, qui est l'une des plus précieuses prérogatives et l'un des plus puissants stimulants de la foi chrétienne protestante. »