Maxence Van der Meersch (1907-1951)
"Sylvain allait de maison en maison proposer du tabac belge.
Il avait, pour sonner aux portes et faire ses offres à ses clients, une façon à lui, la façon des fraudeurs, qui ne savent jamais s’ils vont voir devant eux un ami ou un ennemi. Il appuyait sa bicyclette contre le mur, allait tirer la sonnette, et revenait à son vélo. Il l’enfourchait, posait le pied sur la pédale, se tenait prêt à démarrer. La porte s’ouvrait.
« Pas de tabac ? soufflait Sylvain.
– Pas cette semaine. »
La porte se refermait. Et Sylvain s’en allait plus loin, sonner à une autre porte.
Sylvain était un homme de trente ans, grand et large d’épaules, avec une tête qui plaisait par quelque chose de naïf et de franc répandu sur ses traits. Il avait des cheveux châtains, mal plantés, taillés en brosse et dominant son front haut. Son nez d’ancien boxeur était aplati et élargi à la base, sans être pour cela complètement déformé. Ses yeux bruns étaient petits et brillants, – celui qu’on lui voyait, tout au moins, car l’autre était entièrement masqué par une énorme enflure violacée. Cela l’enlaidissait, lui déformait le visage, sans parvenir à rendre antipathiques ses traits où se lisait une certaine douceur candide contrastant singulièrement avec son physique d’athlète. Il était vêtu en maçon. Il portait un lourd pantalon de velours d’Amiens, immense, descendant en vastes plis le long de ses jambes, et retenu à la taille par une ceinture de flanelle bleue."
Sylvain a quitté le monde de la boxe pour les beaux yeux de Germaine. Etant frontalier, il gagne sa vie en pratiquant la contrebande de tabac belge...