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La mer et les marins

Livre numérique


Edouard Corbière (1793-1875)

"Lorsque le vent s'est élevé avec trop de violence et que la mer a grossi de manière à empêcher le navire de continuer sa route au milieu des lames dont le choc pourrait l'endommager, on met à la cape, sous une voile que l'on présente obliquement au vent. Dans cette position, le bâtiment, conservant très peu de vitesse, dérive en cédant plutôt à l'impression de chaque vague, qu'en y résistant. Son avant, s'offrant à chaque coup de tangage à la lame qui déferle, reçoit quelquefois des chocs très forts ; mais le navire culant alors dans le sens de la force de la lame, évite au moins le danger qu'il y aurait à la rencontrer avec une vitesse opposée à sa direction. Une fois à la cape, l'équipage n'a plus rien à faire, et pendant tout le temps que dure la tempête, il faut attendre, dans cette position passive, que le mauvais temps s'apaise et permette de manœuvrer. C'est pendant ces longues heures de coup de vent et de dangers, que l'on peut remarquer plus particulièrement cette heureuse indifférence que l'habitude du péril donne aux matelots. Assis à l'abri des pavois ou de la chaloupe, pendant qu'une mer furieuse mugit autour d'eux et menace quelquefois d'engloutir le navire, on les voit se réunir et s'approcher le plus possible les uns des autres, pour raconter de ces contes dont la tradition perpétue le souvenir parmi les marins. Souvent ils chantent ensemble, d'une voix rauque, ces complaintes monotones comme le bruit des vagues qui les environnent, et mélancoliques comme la plupart des airs qu'aiment les gens de mer."

Recueil de divers scènes maritimes.