Jean Giraudoux (1882-1944)
"J’ai d’abord un ami.
Nous sommes tous deux de grande taille, tous deux blonds. Nous irions du même pas, dans nos promenades, s’il n’était flâneur et badaud. Mais Etienne voit tout, excepté ce qui est devant lui ; je lui ferai commander des œillères. Quand un chat ronronne, sur un seuil, dans une fenêtre, il lui gratte longuement la tête, il énumère en miaulant ses charmes, mais si à sa vue l’animal voulut fuir, il esquisse les premiers pas d’une poursuite acharnée, pousse des cris, et l’épouvante. Aux chiens, déclare-t-il, il se doit de ne point celer qu’ils sont vraiment trop lâches, trop esclaves ; il ne se hasarde guère d’ailleurs à les caresser. Pour ses amis les oiseaux, aux boutiques des quais, il leur fait visite couple par couple. Il félicite l’oiseleur qui dressa son étalage comme une échelle vivante, les poules à la base, les cailles vers le centre, les colibris au sommet. Il caquète : – Rossignols, Rossignols, jamais l’on n’a fait assez remarquer combien peu vous ressemblez aux merles ! Et vous, perruches grises, qui courez à reculons, comme les écrevisses, devenez-vous rouges, sous l’Equateur ? Rossignols, camarades, ne vous battez point de la sorte. Croyez-en le petit homme ; ne vous aveuglez point entre vous : La nuit vient tous les soirs."
Recueil de trois nouvelles : "Jacques l'égoïste - Don Manuel le paresseux - Bernard, le faible Bernard".
L'égoïsme, la paresse et la faiblesse. Jean Giraudoux, trace, en se servant de leur défaut, les portraits de Jacques, Manuel et Bernard, des "dandies irresponsables", véritables narcisses qui recherchent leur propre reflet à travers l'amitié, l'amour, qu'ils portent aux autres...