Cette (lyrique) nouvelle sur la tragédie de la vieillesse et sa fin par la comtesse Anna-Élisabeth de Noailles, née Bibesco Bassaraba de Brancov (1876-1933) est parue dans la revue Demain en 1924.
« Le médecin, avec la conscience heureuse et rassérénée d'un homme qui a donné par humanité le coup de grâce, s'éloigna, indifférent désormais - mais non sans avoir indiqué à tout le groupe familial, par un doigt posé sur les lèvres et par une démarche feutrée, que le silence et le calme s'imposaient, la malade entrant désormais dans la douceur de ce paradis artificiel que tout organisme à l'agonie était en droit d'attendre de sa compétence comme de sa mansuétude.
L'auréole discrète et mystique du deuil entourait déjà tous les fronts affligés. Filles et gendres s'abordaient sans paroles, mais avec des pensées transparentes et d'une nette intelligibilité, que, d'ordinaire, les vocables leur refusaient. Ces vivants, momentanément devenus un peuple de fantômes, glissaient, bruissaient autour de la mourante qui, par son premier rôle tragique, gardait seule de la puissance matérielle, et attachait sur elle l'attention du destin vainqueur qu'elle avait si longtemps tenu en échec par ces deux noblesses vigilantes de l'homme : l'autorité et le commandement. Si légère se faisait cette famille digne, mais d'âme malingre et résignée, que les objets prirent soudain un éclat palpitant et cordial, une subite prépondérance. »