Dans notre Ă©tude sur les transformations morales en gĂ©nĂ©ral, nous nâavons pu suivre sĂ©parĂ©ment les transformations opĂ©rĂ©es ou Ă opĂ©rer dans chacune des branches principales de la morale. Le temps nous manque pour entreprendre toutes ces monographies. Mais il en est une qui peut ĂȘtre abordĂ©e pendant le peu de temps qui nous reste, et qui, par sa nature, est facile Ă dĂ©tacher : câest lâexamen des variations de la morale sexuelle.
Je mâattache Ă cette catĂ©gorie de devoirs parce quâil nâen est pas qui soit plus propre Ă rĂ©futer certaines erreurs accrĂ©ditĂ©es et Ă mettre sur la voie des vĂ©ritables principes explicatifs de notre sujet. Aux partisans, si nombreux, dâun Ă©volutionnisme unilinĂ©aire qui prĂ©tendrait assujettir la morale Ă traverser une sĂ©rie unique et rĂ©glĂ©e de phases successives, il suffit dâobjecter la diversitĂ© si grande des points de dĂ©part de lâĂ©volution de la morale sexuelle dans les diverses sociĂ©tĂ©s, souvent mĂȘme les plus rapprochĂ©es, la diversitĂ© non moins grande du cours capricieux et zigzagant de cette Ă©volution, et la diffĂ©rence profonde aussi de son aboutissement, autant quâil est possible dâen juger, et bien quâon puisse dĂ©mĂȘler Ă certains Ă©gards, Ă travers tant de dissemblances, une certaine tendance gĂ©nĂ©rale peut-ĂȘtre.
Il y a quelques annĂ©es, sous lâinfluence de quelques auteurs tels que Bachofen, Mac Lennan, Sir John Lubbock, Morgan, etc., on inclinait Ă penser que la promiscuitĂ© au sein du clan ou de la tribu avait Ă©tĂ© le point de dĂ©part primitif et universel de lâĂ©volution des rapports sexuels. Cette hypothĂšse a Ă©tĂ© battue en brĂšche par Westermarck, entre autres Ă©crivains, avec une si grande vigueur quâil nâen reste rien. Ce que lâon considĂ©rait Ă tort comme la rĂšgle est devenu lâexception infime et mĂȘme contestable. Beaucoup de peuples, par exemple les FuĂ©giens, quâon avait signalĂ©s comme livrĂ©s Ă la promiscuitĂ© la plus bestiale, professent au contraire de lâaversion pour lâadultĂšre et le libertinage ; et, si chez dâautres peuples on voit une licence de mĆurs qui sâapproche de la promiscuitĂ©, ce nâest nullement chez les peuples les plus infĂ©rieurs. Les Veddahs, le plus infime peut-ĂȘtre des peuples connus, pratiquent la monogamie indissoluble. â Les tribus les plus immorales sont celles qui ont Ă©tĂ© corrompues par le contact des EuropĂ©ens...