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Turner

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Joseph Mallord William Turner (Londres, 1775 – 1851)

A 15 ans, Turner exposait dĂ©jĂ  une Vue de Lambeth. Il acquit trĂšs tĂŽt la rĂ©putation d'un aquarelliste extrĂȘmement habile. Disciple de Girtin et de Cozens, il montra par son choix et la façon de prĂ©senter ses thĂšmes une imagination pittoresque qui semblait le destiner Ă  une brillante carriĂšre d'illustrateur. Il voyagea, d'abord dans son pays natal et puis, Ă  plusieurs occasions, en France, dans la vallĂ©e du Rhin, en Suisse et en Italie. Son intĂ©rĂȘt commença toutefois Ă  dĂ©passer le cadre de l'illustration : l'idĂ©al du paysage lyrique, dominant et inspirateur, se faisait jour, mĂȘme dans des oeuvres oĂč nous sommes tentĂ©s de ne voir rien d'autre qu'une imagination pittoresque. Son choix d'un unique maĂźtre du passĂ© est Ă©loquent, Ă©tudiant en profondeur toutes les toiles du Lorrain qu'il put trouver en Angleterre, les copiant et les imitant avec une extraordinaire perfection. Il ne se dĂ©partit jamais de son culte pour le grand peintre. Il voulut que son Lever du soleil Ă  travers la vapeur soit placĂ© Ă  la National Gallery aux cĂŽtĂ©s de deux chefs-d'oeuvre du Lorrain ; et c'est lĂ  que nous pouvons les y voir et juger du bien-fondĂ© de ce fier et splendide hommage. Ce n'est qu'en 1819 que Turner se rendit en Italie, pour y retourner en 1829 et 1840. Sans aucun doute, Turner y ressentit des Ă©motions et y trouva des sujets de rĂȘverie qu'il transcrivit plus tard, dans les termes de son propre gĂ©nie, en symphonies de lumiĂšre et de couleurs. La logique de la raison ne compte pas aux yeux de cette imagination nordique. Mais aucun Latin n'aurait possĂ©dĂ© cette autre logique, monstrueuse Ă  son goĂ»t, propre Ă  l'Anglais consumĂ© par un rĂȘve solitaire et royal, indĂ©finissable et plein de merveilles, qui lui permettait d'abolir les frontiĂšres entre la vie (mĂȘme la sienne) et les images qu'il crĂ©ait.

Le rĂȘve du Latin, qu'il soit vĂ©nitien ou français, est un rĂȘve de bonheur, Ă  la fois hĂ©roĂŻque et humain. L'ardeur y est tempĂ©rĂ©e par la mĂ©lancolie, et l'ombre y lutte avec la lumiĂšre. La mĂ©lancolie, mĂȘme sous la forme oĂč elle apparaĂźt dans la crĂ©ation Ă©nigmatique et profonde d'Albrecht DĂŒrer, n'a pas sa place dans le monde fĂ©erique et changeant de Turner : quelle place aurait-elle dans un rĂȘve cosmique ? L'humanitĂ© est absente, sauf peut-ĂȘtre sous la forme de personnages de thĂ©Ăątre que nous regardons Ă  peine. Une peinture de Turner nous fascine, et pourtant nous ne pensons Ă  rien de prĂ©cis, rien d'humain ; seulement Ă  des couleurs inoubliables et aux spectres qui hantent nos imaginations. En rĂ©alitĂ©, l'humanitĂ© ne l'inspire que lorsqu'elle est liĂ©e Ă  l'idĂ©e de mort, mais d'une mort Ă©trange, une dissolution lyrique – comme le finale d'un opĂ©ra.