Njaayeen trônait, encore toute altière, au milieu d’un quartier enfoncé dans les bas-fonds de la banlieue. Une de ces maisons qui avaient su faire exception, en échappant régulièrement à l’invasion des eaux de pluie. Elle semblait assister, à la fois indifférente et moqueuse, à un duel permanent entre l’homme et les eaux qui venaient régulièrement à la reconquête du territoire que ce dernier, dans son ardeur dévastatrice, lui avait si injustement arraché. En vérité, les habitants du quartier Abreuvoir ont toujours vécu en sursis dans le lit de cet ancien lac desséché qui menaçait de reprendre vie à chaque hivernage pluvieux. Et cette année-là , il avait beaucoup plu. La vie de Dakar et environs était rythmée par la valse incessante des eaux de pluie qui, heurtées aux amas de gravats des travaux inachevés, venaient renforcer la colère des caniveaux bouchés pour habiller la capitale d’horrible manteau tissé de véhicules immobilisés ou noyés, de femmes cherchant leur chemin, le pagne retroussé jusqu’aux limites de la décence, d’un infernal concert de klaxon et de ronflement de moteurs tuberculeux, de conducteurs larmoyants, perdus dans la sueur et le gasoil…