Godzilla a donné naissance à l’une des franchises les plus lucratives et les plus longues de l’histoire du cinéma et son statut a considérablement évolué au cours des années. En 1954, il était une incarnation cauchemardesque et accusatrice du péril nucléaire ; dix ans plus tard, il devenait le défenseur du Japon. Cette transformation a certes permis de fidéliser un auditoire plus jeune et, pour un temps, d’assurer la rentabilité des films. De même, son retour pendant la décennie 1980 avait pour objectif de renouveler son public. Faut-il en conclure que les métamorphoses de la créature ont été dictées uniquement par des impératifs financiers ? Pourrait-on également y voir une symbolique en phase avec les courants d’opinion qui ont traversé la société japonaise depuis la défaite de 1945 ?
Le rôle ambivalent dévolu à Godzilla (ou à l’un de ses congénères) dans certains opus de la série reflète la complexité des relations nippo-américaines influencées par la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, la rivalité économique et les stratégies géopolitiques américaines en Asie de l’Est. Sa personnalité est donc constamment redéfinie à l’aune des tensions ou des rapprochements entre l’Archipel et son puissant allié occidental. Le roi des monstres est sans conteste une figure polysémique dont l’étude permet de comprendre les fluctuations d’une alliance qui a façonné le Japon d’après-guerre ; et l’auteur de cet ouvrage met autant de rigueur que de plaisir à en faire l’analyse.