L’esprit se sent ému lors de la représentation du sublime dans la nature, tandisque, lors du jugement esthétique sur le beau dans la nature, il est dans un état de calme contemplation. Ce mouvement peut (tout particulièrement dans son début) être comparé à un ébranlement, c’est-à-dire à une rapide alternance de répulsion et d’attraction face au même objet. Ce qui déborde les limites de l’imagination (et jusqu’à quoi celle-ci est poussée dans l’appréhension de l’intuition) constitue pour ainsi dire un abîme où elle a peur de se perdre ellemême ; mais, cependant, il est, non point débordant pour l’Idée que la raison se fait du suprasensible, mais légitime de produire un tel effort de l’imagination ; par conséquent, c’est là ce qui, à son tour, se trouve attirant dans l’exacte mesure où c’était repoussant pour la simple sensibilité.
Immanuel Kant
L’abîme est, pour Kant, dans la Critique de la faculté de juger, le manque de fondement dans lequel l’imagination se perd quand elle essaie de mettre le monde sensible en contact avec son fondement suprasensible qu’il ne parvient qu’à entrevoir, mais jamais à saisir pleinement. Ce point introduit dans notre approche un paradoxe, qui constitue le problème auquel s’attache cette œuvre, à savoir déterminer dans quelle mesure l’imagination esthétique nous relie au suprasensible, cela que Kant appelle raison, et Schelling liberté, et, en même temps, dans quelle mesure elle nous permet de prendre conscience du concept de limite, à savoir à ce qui renvoie à la finitude à la fois de la raison et de la liberté humaine.