Istanbul, Corfou, Paris, Venise, une campagne sortie d'un tableau de Cézanne, et Krazkoch, cette cité plus ou moins slovaque qui n'existe pas sur les atlas... Dans tous ces lieux hantés, les narrateurs successifs ont rendez-vous avec un seul et même mystère. Quelque chose d'ambigu, d'indicible et de fascinant. Peut-être bien "ce désespoir qui est au fond de la beauté", dont on parle précisément Alain Gerber.
Le désespoir et la beauté, ce sont aussi la solitude et le bonheur. La solitude : celle où nous rejettent les êtres qui pourtant nous sont les plus proches ; celle, aussi, où nous enferme l'étincelante énigme du monde ; celle, enfin, que sécrète jour après jour le cours même de notre vie.
Et le bonheur ? Il va, il vient - à travers des amitiés, des espérances, des rêves. Il s'offre, enfin, en ces moments de grâce où tout nous est soudain rendu : un amour d'autrefois qui refleurit sur un visage neuf, une voix venue d'on ne sait où mais qui nous réchauffe l'âme, les mélodies inentamables de l'enfance, des "journées de braise et d'illusion", de "vin et de roses"...
En cela, ces nouvelles, subtilement mariées les unes aux autres, nous font songer à l'éclairage changeant des lieder de Schubert, où le chant se déplace constamment du majeur au mineur, entre émerveillement et détresse. Et c'est bien de la même musicalité, subtile et raffinée, que participent ces brefs récits : tout est dit sans élever la voix, dans une écriture dépouillée, au gré de quelques modulations qui déchirent soudain le coeur.