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Les Miens

E-book


Auguste Gilbert de Voisins (1877-1939)

"On est bien, couchĂ© dans l’herbe inĂ©galĂ©, on s’y prĂ©lasse, dominĂ© par ce large platane qui incite Ă  rĂȘver. Les rĂȘves sont des jeux oĂč l’on reste immobile et qu’il est superflu d’arranger Ă  l’avance, des jeux oĂč l’on n’a nul besoin de compagnons : un plaisir pour soi seul. L’arbre touffu de feuilles nombreuses, le long corridor blanc au bout duquel je m’assieds sur une chaise de paille, le petit salon de bonne-maman, Ă  l’heure oĂč elle lit son journal, les fenĂȘtres ouvertes sur le bois de pins, sur la colline toute en rochers bleus (je ne les voyais pas bleus, d’abord), sur la mer oĂč des bateaux se promĂšnent, voilĂ  les lieux oĂč le rĂȘve, ce jeu pour moi, se dĂ©veloppe mieux que partout ailleurs. – Aujourd’hui, je rĂȘve, couchĂ© dans la prairie, au pied du platane dont mes parents disent avec un air satisfait : « C’est le plus beau platane du pays ». De ce pays, ils n’ont jamais dĂ©fini au juste l’étendue.

Je pourrais monter dans les branches, lĂ -haut, et m’y installer Ă  califourchon, mais il faudrait aller chercher une Ă©chelle dans la resserre du jardinier, car le tronc est vraiment trop lisse pour y grimper sans aide... or il fait chaud et l’on est si bien dans l’herbe ! ah ! si vous saviez comme on est bien !... Non, je reste couchĂ©, la tĂȘte posĂ©e Ă  plat, et je vais me laisser prendre tout doucement par le rĂȘve savoureux qui tombera, je pense, comme un fruit, de l’arbre tutĂ©laire que je contemple par en-dessous."

Souvenirs.