Alphonse Daudet (1840-1897)
"Frédérique dormait depuis le matin. Un sommeil de fièvre et de fatigue où le rêve était fait de toutes ses détresses de reine exilée et déchue, un sommeil que le fracas, les angoisses d’un siège de deux mois secouaient encore, traversé de visions sanglantes et guerrières, de sanglots, de frissons, de détentes nerveuses, et dont elle ne sortit que par un sursaut d’épouvante.
– Zara ?... Où est Zara ?... criait-elle.
Une de ses femmes s’approcha du lit, la rassura doucement : S. A. R. le comte de Zara dormait, bien tranquille, dans sa chambre ; madame Éléonore était auprès de lui.
– Et le roi ?
– Sorti depuis midi dans une des voitures de l’hôtel.
– Tout seul ?
Non. Sa Majesté avait emmené le conseiller Boscovich avec elle... À mesure que la servante parlait dans son patois dalmate, sonore et dur comme un flot roulant des galets, la reine sentait se dissiper ses terreurs ; et peu à peu la paisible chambre d’hôtel qu’elle n’avait fait qu’entrevoir, en arrivant, au petit jour, lui apparaissait dans sa banalité rassurante et luxueuse, ses claires tentures, ses hautes glaces, le blanc laineux de ses tapis où le vol silencieux et vif des hirondelles tombait en ombre des stores, s’entre-croisait en larges papillons de nuit."
Le roi Christian II et sa famille sont en exil à Saint-Mandé. Ils deviennent vite la proie d'usuriers sans scrupules...