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L'insolent

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De la misanthropie considérée comme l'un des beaux-arts, de l'insolence érigée en rÚgle... MoliÚre vient de monter

. Alceste est furieux, humiliĂ©, dĂ©shonorĂ©. Lui, l'ĂȘtre au goĂ»t exquis, le vĂ©ritable aristocrate du savoir, le dĂ©fenseur des vertus foulĂ©es au pied par flatteurs et courtisans, le gentilhomme infiniment supĂ©rieur aux petits marquis que cette diablesse de CĂ©limĂšne a le culot de lui prĂ©fĂ©rer... VoilĂ  qu'on ose le railler sur scĂšne ? HĂ©sitant toujours Ă  partir au dĂ©sert, Alceste se tourne, en dĂ©sespoir de cause, vers son maĂźtre en misanthropie – un maĂźtre Ă©ternel, qui a tout vu, tout entendu, tout senti, et de tout temps – sans deviner que ses jĂ©rĂ©miades vont provoquer un torrent de fureur. OutrĂ© par les simagrĂ©es de son ancien Ă©lĂšve, Maxence Caron s'Ă©nerve et songe d'abord Ă  les ignorer : aprĂšs tout, pourquoi un misanthrope Ă©mĂ©rite viendrait-il au secours de qui que ce soit ? Difficile, cependant, de ne pas saisir cette trop belle occasion de dire Ă  un disciple en herbe ce qu'est la misanthropie, loin de toute caricature. Il est temps de montrer Ă  ce pauvre Alceste que le monde est encore plus ridicule, corrompu, encore plus nigaud que la cour de paons dĂ©signĂ©e par MoliĂšre, et que le dĂ©sert ne peut servir de refuge Ă  celui qui ne renonce pas Ă  croire en l'humanitĂ©. Car tout est lĂ  : un misanthrope, un vrai, ne dĂ©teste les siens que parce qu'il conserve prĂ©alablement en lui la plus haute idĂ©e de l'esprit humain, une foi en la beautĂ©, la douceur, l'harmonie et la sagesse.

Pour parvenir Ă  retrouver cette image de la perfection humaine, Ă  comprendre d'oĂč elle provient, le misanthrope devra regarder droit dans les yeux les horreurs de la sociĂ©tĂ© oĂč il est nĂ©. En somme, pour accĂ©der au Paradis, encore faut-il avoir dĂ©signĂ© oĂč se situe l'Enfer et s'ĂȘtre patiemment imbibĂ© de l'enseignement d'un purgatoire. Prenant Alceste par la main, Maxence Caron le mĂšne dans une nuit de Walpurgis oĂč dĂ©filent les figures grimaçantes d'artistes, d'Ă©crivains ou d'hommes politiques infiniment plus nocifs que ceux qu'Alceste a condamnĂ©s sur la scĂšne du

. Une fois dĂ©cillĂ©, Alceste sera prĂȘt Ă  comprendre le rĂŽle Ă©lĂ©vateur de la musique et Ă  s'approprier ses symboles, pour savoir entendre et Ă©couter d'invisibles beautĂ©s, grĂące Ă  Liszt, Schubert, Beethoven et Bach, qui rĂ©concilient l'entendement et la sensibilitĂ© dans l'Ăąme du misanthrope le plus aguerri. Alors seulement, la misanthropie devient un art, un exercice humaniste hors des circonstances, parfaitement ontologique, et mĂȘme un droit divin. Car en profondeur, la joie et la misanthropie ne sont pas opposĂ©es.

Lettre leçon, lettre roman d'initiation, lettre à la circularité proustienne et à la structure de

, lettre de flamboiement stylistique Ă©tourdissant, lettre fleuve sur la nĂ©cessitĂ© de s'Ă©lever misanthrope – et non de

misanthrope – afin de savoir encore entendre, apercevoir, aimer ce qui est beau, ce qui mĂ©rite notre dĂ©votion, cet extraordinaire opus des " Affranchis " s'adresse bien sĂ»r, Ă  travers la figure d'Alceste, Ă  un destinataire que nous connaissons trĂšs bien : nous.