Maurice Renard (1875-1939)
"Les journaux du matin ne se privent pas d’épiloguer sur un drame étonnant qui s’est passé hier et dont j’ai fort bien connu le héros, un certain marquis Savinien d’Outremort.
Il fut mon condisciple à l’École Polytechnique, où je l’aperçus pour la première fois de ma vie. Nous nous liâmes d’amitié avec assez de promptitude, poussés en ceci par notre commune gentilhommerie, qui n’était pas dans les titres et les noms, comme il arrivait déjà trop souvent, mais dans les croyances, l’air et le sang.
Aussi bien, je crois avoir été le seul ami de M. d’Outremort. Le nom sépulcral qu’il porte l’avait d’abord désigné à l’éloignement de nos camarades ; sa personne, au surplus, ne provoquait pas les avances. Il était beau, certes, mais singulièrement, d’une beauté à la fois cruelle et archangélique. Sa mine était toujours d’un séraphin courroucé, d’Azraël en un mot, l’Ange Exécuteur. Il devait garder jusqu’au déclin de l’âge mûr ce visage d’éphèbe et cette expression justicière qu’il offrait à nos yeux de vingt ans ; devenu sexagénaire, il semblait être encore ce qu’il était dans ce temps-là : un jeune homme noir et silencieux.
Sans doute faut-il attribuer à la sévérité de ses dehors la déférence inhabituelle et mêlée de crainte qu’il inspira bientôt à chacun de nous et que je ne saurais mieux comparer qu’au respect dont on entoure, à l’accoutumée, ceux qui furent les acteurs d’événements formidables.
Cependant – je ne tardai pas à l’apprendre de lui-même – il n’avait jamais rien perpétré que d’ordinaire, pas plus que nul de ses ancêtres."
Recueil de 5 nouvelles fantastiques :
"Un gentilhomme physicien" - "La cantatrice " - "L'homme au corps subtil" - "Le brouillard du 26 octobre" - "La gloire du Comacchio".