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Noir,perd et passe!

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Catherine H.

Noir, perd et passe !

Quand j'essaie de dormir la nuit

Je peux seulement rĂȘver en rouge.

Les yeux fermĂ©s, je rĂȘve. Enfin le sommeil, le noir dans cette longue nuit.

Je rĂȘve que se taise le silence.Les cris, les hurlements. Ma tĂȘte me fait mal et j'essaie de me rappeler ce qu'ils criaient. « Non Ă  l'Afrikaans ! Non Ă  la langue de l'oppresseur ! », slogans repris par la foule. Par la fenĂȘtre de ma classe, je vois dĂ©filer les Ă©tudiants. Ils sont des centaines, des milliers. Ils ont l'air heureux, ils chantent.

L'institutrice nous presse :

— Rentrez, rentrez tous maintenant, vite.

Mais je reste lĂ , dehors. Dans la rue, partout, des policiers encadrent le cortĂšge, tendus, armes au poing, prĂȘts Ă  tirer. Des chiens aussi, l'Ă©cume aux lĂšvres, tirant sur leur laisse, avides d'en dĂ©coudre.

Surgie de nulle part, une voix hurle :

— Cette manifestation n'a pas Ă©tĂ© autorisĂ©e. Dispersez-vous immĂ©diatement.

Et les premiers tirs Ă©clatent, avec eux la panique. Partout des gens qui courent, affolĂ©s, les mains sur la tĂȘte pour se protĂ©ger. La fumĂ©e des lacrymogĂšnes pique les yeux. Je pleure et je tousse, terrorisĂ© dans cette rue sans nom. Ils ont lĂąchĂ© les chiens. Kapos serviles arrachant des lambeaux de chair, la chair noire devenue rouge. Partout la haine, haine des pierres jetĂ©es par les manifestants contre les voitures de police, haine des hommes en uniforme contre ces jeunes qui montent des barricades et font brĂ»ler des pneus.

Tu peux Ă©teindre une bougie,

Mais tu ne peux Ă©teindre un feu

Une fois que les flammes commencent Ă  prendre

Le vent l'attisera.

J'ai peur, je veux rentrer Ă  la maison. Je m'Ă©lance et zigzague entre les Ă©meutiers. J'ai peur pour ma vie. Qu'est-ce que la vie d'un Noir dans un monde oĂč rĂšgne sans partage le pouvoir des Blancs ?

Qui a les mots pour faire tomber la distance ?

Un coup de feu, un corps qui git. Hector est lĂ , sur le bitume. Un sale trou noir dans sa tĂȘte, un filet rouge au coin de sa bouche.

Le monde extérieur est noir et blanc

Avec une seule couleur morte.

Il ne faut pas rester ici, et j'ai peur. Dans mes bras mon ami, mon frĂšre. Son sang sur ma chemise, il faut qu'on l'aide, il va mourir, mes yeux se noient de larmes. Il me regarde sans comprendre, ses lĂšvres bougent Ă  peine :

HĂ© toi, et toi aussi ! Quand arriverons-nous Ă  destination ? Autour de nous les balles pleuvent, d'autres corps, d'autres enfants encore. Qui pourra alors dire Nous ne l'avons pas vu

Nous n'avons pas vu notre frĂšre

À l'endroit oĂč il est mort.

Et les yeux du monde entier

Sont ouverts désormais.

***

Note : merci à Peter Gabriel et Johnny Clegg qui ont rythmé ce texte, ainsi qu'à Sam Nzima qui, en immortalisant l'assassinat d'Hector Pieterson, a permis au monde de découvrir la réalité de l'apartheid.

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