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Notes sur le football

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Il y a dans les moeurs, comme dans l'histoire, des conquĂȘtes imprĂ©vues. La marche triomphale du football Ă  travers les habitudes jusqu'alors si sĂ©dentaires de notre jeunesse française en est un nouvel exemple.

Le football avait tout contre lui. Son premier dĂ©faut Ă©tait d'ĂȘtre anglais.

On nous répÚte à chaque instant que nous sommes des anglomanes renforcés. Cela n'est pas ; car à part le petit groupe de gommeux parisiens qui affectent de ne porter que du linge blanchi à Londres, il suffit qu'une mode arrive d'Outre-Manche, pour qu'elle éveille aussitÎt des susceptibilités « patriotiques » dans la presse et dans l'opinion.

De plus, le football faisait son entrée chez nous précédé d'une réputation nettement établie de brutalité : les mÚres françaises qui craignent les rhumes et les engelures ne pouvaient dÚs lors lui faire un accueil sympathique.

Enfin, c'est un jeu collectif : il exige la formation de deux équipes de onze ou quinze joueurs chacune : pour se déployer à l'aise, ces équipes ont besoin d'un vaste espace de terrain plat et gazonné. Autant de motifs pour que les maßtres ne fussent pas favorables à une innovation qui allait forcément compliquer...

Mais il faut signaler un dernier dĂ©savantage auquel nul de ceux qui ont popularisĂ© le football en France n'avait songĂ©, et dont, pour ma part, j'ai Ă©tĂ© long Ă  me rendre compte. Il est impossible au spectateur qui n'est pas « au courant » de comprendre quelque chose Ă  ce qui se passe sous ses yeux. Il voit une mĂȘlĂ©e, des bras et des jambes enchevĂȘtrĂ©s, des poitrines qui se heurtent, des mains qui se crispent, toute une sĂ©rie d'efforts auxquels il s'intĂ©ressera s'il est peintre ou sculpteur, qui lui feront horreur s'il est pĂ©dagogue ou s'il a simplement l'Ăąme sensible. Comment, en face de ce travail intense des muscles, la pensĂ©e lui viendrait-elle que des forces intellectuelles et morales sont, au mĂȘme moment, mises Ă  contribution et que rien ne sommeille dans l'ĂȘtre qui se dĂ©bat lĂ  devant lui ?

Les journalistes, horrifiés, en firent de terribles descriptions, propres à donner la chair de poule aux parents les moins craintifs; des listes de tués et de blessés, importées d'Angleterre, circulÚrent comme piÚces à l'appui ; certains proviseurs prirent sur eux de l'interdire aux lycéens. Rien n'y fit : la marée monta avec une parfaite régularité. Les jeunes gens mirent, à vaincre tous les obstacles, une persévérance dont nul ne les aurait crus capables.