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Vieil escogriffe

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Emmanuel BOURDAUD

Vieil escogriffe

Tandis que tintinnabule la clochette qui tournera ta page, toi, le vieux cacochyme, tu t'apitoies sur ton visage. Ancien dĂ©charnĂ©, coassant ta rengaine, tes mots ratatinĂ©s, vomis avec peine au travers du dentier, tu assassines en fantasme la terre dans son entier, cette terre pourtant indulgente, qui t'accueillera en son cimetiĂšre toi et tes congĂ©nĂšres. PassĂ© ta vie Ă  palper ton larfeuille, Ă  compter les billets durs, Ă  les amasser dans un coffret damassĂ©, Ă  tenter de recoller les feuilles des marguerites en papier, Ă  crachoter tes glaires vecteurs de maladies du cƓur, Ă  Ă©conomiser le moindre de tes affects rabougris, Ă  Ă©viter le chant et la danse et le soleil et l'air superflus Ă  ton esprit et Ă  ton corps, pourrissant tous deux d'un mĂȘme Ă©lan funĂ©raire.

Tes semblables, tu les as fuis ou haĂŻs, frappĂ©s ou violĂ©s... Lors esseulĂ© Ă  prĂ©sent, cisaillĂ© par les ans, sillonnĂ© de tranchĂ©es d'Ă©piderme, tu lĂšves des bras mandibulaires et psalmodies les malĂ©dictions Ă  l‘encan, que la diction aigre mute en grincements sinistres, en gonds de cercueil rouillĂ©s - ils ont pris l'humiditĂ©. Ah ! Te voici qui rĂ©clames du respect au nom de ton grand Ăąge - en rĂ©tribution de quoi ? Qui as-tu secouru dans l'outrage ? - te voilĂ  qui dĂ©clames - mais qui veut entendre l'orfraie ? - tes sentences remĂąchĂ©es conspuant la jeunesse et la vie, rĂ©gurgitant dans un spasme ta nostalgie larmoyante. Oui, c'Ă©tait l'bon temps, celui oĂč tu pouvais, dans l'impunitĂ© de la terreur suscitĂ©e, abattre ton poing serrĂ© sur la femme et sur le fils, aboyer tes injures et ta haine, la haine de toi-mĂȘme inassumĂ©e, la haine en assommoir, la haine, sanglant miroir, la haine blanche et noire, la haine tranchoir d'espoir.

Maintenant dans ton mouroir, vieil escogriffe, tes griffes Ă©limĂ©es, tes chiffres oubliĂ©s, ton enveloppe ruinĂ©e, ne reste qu'un spectre de crĂ©celle, une voix d'aigreur et de fiel, jacassant insanitĂ©s et lieux de fosse commune. Toi, la faux t'emportera, la faux inopportune, tardive et vaine, le cathĂ©ter dans les veines. Trop tard pour ceux, les dĂ©shĂ©ritĂ©s, les fruits pourris de tes entrailles monstrueuses, ceux que tu as dĂ©truit par ton Ă©ventail de rancunes affreuses, trop tard pour les sauver de leur vie ou de leur mort bafouilleuses, pour ĂŽter l'aiguille de leurs bras piquetĂ©s d'hĂ©matomes minuscules, pour retenir leur bras quand il s'envole vers le visage du fils ou de la femme, trop tard pour moi, l'homoncule Ă©nergumĂšne, le fragile garçon blĂȘme, Ă  l'existence en lambeaux d'Ă©pouvante.

Laisse-moi, tu veux, croquemitaine à l'agonie, te regarder de mes yeux, globes squameux et brillants. Rien n'est plus beau pour eux, que le spectacle quotidien de ta souffrance qui dure, la douleur obscure, lorsque j'accroche à la potence la poche de substitution, remplaçant l'opiacé par quelque banal sérum.

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