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Colin-maillard

E-book


Louis HĂ©mon (1880-1913)

"Le contremaĂźtre avait dit : « Vous trouverez facilement un logement, ce n’est pas ce qui manque par ici ! » et Mike O’Brady s’en allait au hasard des rues, guettant les pancartes aux fenĂȘtres.

Le contremaĂźtre avait raison ; elles ne manquaient pas. Certaines Ă©taient en carton, imprimĂ©es en caractĂšres gras ; d’autres n’étaient que des demi-feuilles de papier Ă  lettre Ă  bon marchĂ©, sur lesquelles une main malhabile avait grimpĂ© et dĂ©gringolĂ© d’une ligne Ă  l’autre, arrondissant les lettres Ă  grand-peine, s’y reprenant Ă  plusieurs fois pour les jambages, faisant dans les coins des souillures de doigts ; mais les annonces ne variaient guĂšre. C’étaient : « Logement pour cĂ©libataire » – « Logement bon marchĂ© » – « Logement non meublĂ© ».

« Logement pour cĂ©libataire » et parfois quand le perron Ă©tait d’une propretĂ© inutile et qu’il y avait des rideaux aux fenĂȘtres : « Logement pour cĂ©libataire respectable ». Ces derniĂšres, Mike les regardait sans s’arrĂȘter, passant avec un grognement de dĂ©rision.

« Respectable » ! Heuh ! Il voyait cela d’ici. Un logeur onctueux qui ne tolĂ©rerait pas qu’on rentrĂąt tard le soir, et passerait ses dimanches Ă  suer dans ses vĂȘtements de drap sombre au-dessus d’un livre de piĂ©tĂ© ; une logeuse qui vous forcerait Ă  porter des chaussons dans la maison et qui vanterait sans cesse la tempĂ©rance d’un air insultant. Non ! ce n’était pas cela qu’il fallait Ă  Mike O’Brady. Il pouvait se rĂ©signer Ă  ĂȘtre respectable, mais ne voulait pas en porter l’écriteau.

D’autres pancartes l’attiraient, parce qu’elles rĂ©pĂ©taient l’inscription coutumiĂšre en hĂ©breu ; il retrouvait chaque fois son Ă©tonnement primitif de voir ces signes surprenants s’étaler le long d’une rue britannique, sur les façades des petites maisons de plĂątre gris, et il s’immobilisait un instant devant les portes entrebĂąillĂ©es, s’attendant Ă  voir surgir dans les couloirs une gent curieuse, vĂȘtue d’oripeaux Ă©clatants.

Il n’avait encore rien vu qui ressemblĂąt tout Ă  fait Ă  ceci, et il sentait donc qu’il avait bien fait de s’expatrier, mĂȘme s’il n’avait eu comme raison principale d’éviter le petit malentendu avec la police de Dublin."

Mike O'Brady est un Irlandais Ă  Londres. Il vit de petits boulots mais il vit. Il se laisse guider par le hasard, peut-ĂȘtre le destin, et, comme au jeu de colin-maillard, Mike avance aveuglĂ©ment et souvent trĂ©buche...