Joris-Karl Huysmans (1848-1907)
"Le soir tombait ; Jacques Marles hĂąta le pas ; il avait laissĂ© derriĂšre lui le hameau de Jutigny et, suivant lâinterminable route qui mĂšne de Bray-sur-Seine Ă Longueville, il cherchait, Ă sa gauche, le chemin quâun paysan lui avait indiquĂ© pour monter plus vite au chĂąteau de Lourps.
La chienne de vie ! murmura-t-il, en baissant la tĂȘte ; et dĂ©sespĂ©rĂ©ment il songea au dĂ©plorable Ă©tat de ses affaires. Ă Paris, sa fortune perdue par suite de lâirrĂ©missible faillite dâun trop ingĂ©nieux banquier ; Ă lâhorizon, de menaçantes files de lendemains noirs ; chez lui, une meute de crĂ©anciers, flairant la chute, aboyant Ă sa porte avec une telle rage quâil avait dĂ» sâenfuir ; Ă Lourps, Louise, sa femme, malade, rĂ©fugiĂ©e chez son oncle rĂ©gisseur du chĂąteau possĂ©dĂ© par un opulent tailleur du boulevard qui, en attendant quâil le vendĂźt, le laissait inhabitĂ©, sans rĂ©paration et sans meubles.
CâĂ©tait lĂ le seul refuge sur lequel lui et sa femme pussent maintenant compter ; abandonnĂ©s par tout le monde, dĂšs la dĂ©bĂącle, ils pensĂšrent Ă chercher un abri, une rade, oĂč ils pourraient jeter lâancre et se concerter, pendant un passager armistice, avant que de rentrer Ă Paris pour commencer la lutte. Jacques avait Ă©tĂ© souvent invitĂ© par le pĂšre Antoine, lâoncle de sa femme, Ă venir passer lâĂ©tĂ© dans ce chĂąteau vide. Cette fois, il avait acceptĂ©. Sa femme Ă©tait partie pour la commune de Longueville sur les confins de laquelle sâĂ©lĂšve le chĂąteau de Lourps ; lui, Ă©tait restĂ© dans le train jusquâĂ la station des Ormes oĂč il Ă©tait descendu, dans lâespoir de recouvrer quelques sommes."
Jacques et Louise sont un couple parisien qui doit faire face à d'énormes problÚmes financiers et à la maladie. Ils décident de se réfugier, pour souffler, au chùteau de Lourps, chùteau abandonné par son propriétaire, dont le régisseur est le cousin de Louise : Antoine...