En 1984, Ugo Ferraris-Pesci, mon père, alors dans sa soixante-quinzième année, entreprend d’écrire son histoire de jeune immigré italien. Il tient à laisser le témoignage de ce qu’ont été les vicissitudes de sa vie et les combats qu’il lui a fallu mener.
Pour survivre d’abord. Car il a traversé deux guerres mondiales, et a été très pauvre, à l’époque où la protection sociale n’existait pas. Il a eu faim, il a eu froid, et il a été humilié.
Et puis pour parvenir à se hisser, à force de courage et de persévérance, de sa condition d’enfant de treize ans brusquement arraché à son sol natal, à l’école, et propulsé dans le monde du travail en pays étranger, sans aucune formation, sans même parler français, jusqu’à son statut d’ingénieur, polyglotte et très cultivé, tant d’arts et lettres que de sciences.
Il a été aidé par quelques bonnes rencontres, des tuteurs de résilience, comme le dit Boris Cyrulnik, mais surtout par le Conservatoire National des Arts et Métiers, dont il a suivi avec assiduité les cours du soir pendant les années de guerre, parfois dans les pires conditions.
Son témoignage montre l’ampleur des progrès accomplis, entre sa jeunesse et celles d’aujourd’hui, tant par le développement des sciences et des techniques que par celui de ce qu’il est convenu d’appeler l’État-providence. Mais il met aussi en relief tout ce qui manque encore à notre société, « restée très inégalitaire », disait-il, pour que chacun de ses enfants, natif ou d’adoption, puisse exprimer, comme il l’a fait lui-même, les talents dont il est porteur.